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KAZAKHSTAN : LE VRAI VISAGE DU RÉGIME

Entretien avec Viktor Khrapounov, Homme politique kazakhstanais. par Galia Ackerman, journaliste, spécialiste de la Russie et du monde post-soviétique

n° 137 - Automne 2012

Viktor Khrapounov Galia Ackerman - En tant que député du Soviet suprême à la fin de l'époque soviétique, vous étiezaux premières loges lors de l'ascension de Noursoultan Nazarbaev, l'actuel président du Kazakhstan. Pouvez-vous nous expliquer comment cet ancien apparatchik communiste est devenu le maître incontesté du pays ? Viktor Khrapounov - L'ascension de Nazarbaev a été absolument fulgurante. En 1977, à 37 ans, il était le secrétaire de la cellule du parti communiste implantée au sein du combinat métallurgique de la ville de Karaganda - le Karmetcombinat, deuxième combinat de la république socialiste soviétique du Kazakhstan après celui de Magnitogorsk. Il n'avait, a priori, aucune chance de connaître une promotion rapide. Mais une occasion unique s'est présentée à lui. Un journaliste influent, Mikhaïl Poltoranine (qui allait lui aussi effectuer une grande carrière puisqu'il a fini par devenir ministre de la Presse en Russie (7)), a écrit un article extrêmement critique sur les dysfonctionnements et la faible rentabilité du Karmetcombinat. Il déplorait notamment l'obsolescence des équipements et le fait que l'usine était approvisionnée en minerai depuis Krivoï Rog, en Ukraine, à des milliers de kilomètres de là. Poltoranine n'a pas voulu signer cet article de son nom : il craignait de susciter la colère de Brejnev. Mais la direction régionale du parti, elle, souhaitait que la situation du Karmetcombinat évolue. Pour cela, il fallait que l'article paraisse. On a donc proposé à Poltoranine de faire signer le papier du nom de Nazarbaev : à son niveau, celui-ci ne risquait pas grand-chose. Nazarbaev a accepté et l'article fut publié dans la Pravda. De façon inattendue, Brejnev eut une réaction très positive : après avoir lu le journal, il a appelé le premier secrétaire du PC du Kazakhstan, Dinmoukhamed Kounaev, et lui a recommandé de donner de l'avancement à l'auteur, un jeune homme si intelligent et si compétent ! Kounaev a immédiatement promu Nazarbaev au poste de deuxième secrétaire du PC de la région de Karaganda, et une nouvelle promotion a rapidement suivi : en 1979, Nazarbaev est devenu secrétaire du Comité central du PC du Kazakhstan, en charge de l'industrie. Et c'est tout logiquement qu'en 1984, sous Andropov, il a été nommé premier ministre du Kazakhstan. G. A. - Il n'entendait pas se contenter de ce poste... V. K. - Effectivement. Lorsque Mikhaïl Gorbatchev a accédé au pouvoir suprême, en 1985, il a rapidement décidé de se débarrasser de Kounaev qui, tel un Brejnev local, avait occupé son poste pendant 22 ans mais qui jouissait d'une grande autorité dans la République. Et dans la meilleure tradition soviétique, il a proposé à Nazarbaev de soumettre Kounaev à une critique publique afin que ce dernier soit démis de ses fonctions au XVIe Congrès du PC du Kazakhstan, en 1986. Nazarbaev s'est exécuté. Sans états d'âme, il a prononcé devant le Congrès un discours dévastateur contre celui à qui il devait toute sa carrière. Dans un premier temps, ce stratagème a échoué : malgré la diatribe de Nazarbaev, les apparatchiks fidèles à Kounaev ont voté en faveur de sa réélection. Mais quelques mois plus tard, sous la pression de Moscou, Kounaev fut obligé de démissionner. Nazarbaev espérait hériter de son poste. Mais il allait être déçu : en décembre 1986, Gorbatchev a décidé de nommer à la tête du Kazakhstan un haut fonctionnaire russe, Guennadi Kolbine - ce qui a d'ailleurs provoqué les premières émeutes de l'époque de la perestroïka. La jeunesse estudiantine exigeait un premier secrétaire d'origine locale, et non pas un émissaire de Moscou. G. A. - Comment Nazarbaev a-t-il réagi ? V. K. - Il a avancé ses pions en coulisses. Pendant plusieurs années, il a insisté auprès de Gorbatchev pour que Kolbine soit muté ailleurs. Je le tiens de Mikhaïl Gorbatchev en personne. Finalement, Gorbatchev a nommé Kolbine à un autre poste. Et nous voilà en 1990, au XVIIe Congrès du PC du Kazakhstan. Nous devions élire notre nouveau chef (à l'époque, j'étais membre du Comité central). Nazarbaev, avec son indéniable charisme, a bien senti l'air du temps : il se prononçait résolument pour les réformes démocratiques. Et puis il était déjà, depuis six ans, premier ministre : il connaissait tous les aspects de l'économie de la république. Il a donc été élu premier secrétaire du parti communiste kazakhstanais. Un an plus tard, comme dans presque toutes les républiques, on a introduit au Kazakhstan le poste de président de la République, dont le titulaire devait être choisi par le Parlement kazakhstanais. Et c'est tout naturellement que Nazarbaev a été élu à ce poste. G. A. - Que s'est-il passé après l'éclatement de l'URSS ? V. K. - L'indépendance du Kazakhstan fut proclamée le 16 décembre 1991. Dès lors, il fallait de nouveau élire un président. Mais, cette fois, au suffrage universel. Nazarbaev incarnait l'espoir de beaucoup de gens, surtout des jeunes. Il multipliait les discours tonitruants contre la direction soviétique et contre la gérontocratie qui prévalait au sein de la direction du parti, il dénonçait la stagnation et le système du parti unique, il promettait un développement démocratique rapide, et ainsi de suite. Sur la crête de cette vague démocratique, il a été élu président du Kazakhstan indépendant. G. A. - Comment a-t-il commencé à renforcer son pouvoir personnel ? V. K. - Sa première démarche en ce sens a été très simple : il a fait modifier la Constitution de la république du Kazakhstan qui avait été adoptée en 1993. Les premiers amendements furent apportés dès 1995 par référendum. La Constitution d'origine stipulait que le président ne pouvait effectuer plus de deux mandats. Cet article fut aboli. Dans le même temps, Nazarbaev a nommé ses proches aux postes clés de l'État. Si bien qu'il a fini par contrôler tous les principaux leviers du pouvoir. Aujourd'hui, c'est le président qui nomme les chefs de toutes les structures de force (armée, police, services de sécurité, etc.), ainsi que le Procureur général, le président de la Cour suprême et les juges de tous niveaux. Les tribunaux ont perdu leur indépendance car tous les juges dépendent …