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SYRIE : LES HOMMES DE L'APRES-ASSAD

Entretien avec Abdulbaset Sieda, Président du Conseil national syrien depuis juin 2012. par Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro

n° 137 - Automne 2012

Abdulbaset Sieda Isabelle Lasserre - La révolution syrienne est-elle un printemps arabe comme les autres ? Abdulbaset Sieda - Oui et non. Nous avons essayé pendant plusieurs décennies de faire éclore le printemps en Syrie. Sans succès. Personnellement, je n'ai jamais cru à l'ouverture et aux réformes promises par Bachar el-Assad en 2000 (1). Je savais que la nature du régime comme la structure du pays empêcheraient toute évolution. Je ne me suis pas trompé. C'est la raison pour laquelle le prix à payer pour obtenir la liberté sera sans doute plus élevé ici qu'ailleurs. En revanche, je vous promets que, lorsque nous serons débarrassés de Bachar et de son clan, la démocratie existera vraiment et s'appliquera à tout le monde ! Nous l'avons tant attendue ! I. L. - Quel est le projet politique du Conseil national syrien (CNS) ? A. S. - Nous voulons bâtir une Syrie unie, démocratique et pluraliste, en faisant appel à toutes les composantes de la société, quelle que soit leur appartenance ethnique, religieuse ou idéologique. I. L. - Votre prédécesseur, Burhan Ghalioun (2), a été critiqué pour avoir laissé se développer l'influence des Frères musulmans au sein du CNS. Qu'en est-il exactement ? A. S. - Les accusations de ce type ne sont pas nouvelles. Qu'on le veuille ou non, les Frères musulmans représentent une force très importante au sein de l'opposition syrienne. Il n'est ni possible ni souhaitable de se passer d'eux. D'autant qu'ils ont désormais modifié leur approche en acceptant le principe d'un État laïque. Mais le CNS s'appuie également sur d'autres courants : des partis politiques de gauche, des libéraux, des Kurdes. Depuis ma nomination, je me suis efforcé d'ouvrir le Conseil à de nouvelles tendances : des ONG, des mouvements de jeunes et des intellectuels indépendants. I. L. - Quel est le poids réel des Frères musulmans ? A. S. - C'est très simple : sur les douze membres du bureau exécutif, un seul appartient à cette mouvance. Vous voyez qu'ils sont loin d'être majoritaires ! Par ailleurs, nous n'avons ni complexes ni inquiétude particulière vis-à-vis des Frères musulmans. On peut même considérer qu'ils servent de rempart contre les islamistes purs et durs. Leurs relations avec les djihadistes se sont, d'ailleurs, considérablement détériorées sur le terrain. I. L. - Quelles relations entretenez-vous avec les résistants de l'intérieur qui se battent, les armes à la main, contre le régime syrien ? A. S. - Au début de l'insurrection, nous étions très proches des mouvements de jeunes. Puis, lorsque l'Armée syrienne de libération (ASL) a été créée, nous avons établi des contacts quotidiens avec ses représentants. Ils font des allers et retours permanents pour venir me voir en Turquie. Nous communiquons aussi beaucoup par Skype. Nous avons organisé, dans les villes libérées, des conseils révolutionnaires civils chargés d'encadrer la mobilisation et d'empêcher les groupes les plus radicaux de s'arroger tout le pouvoir. Le CNS se doit, en particulier, d'encadrer et de contrôler les différents groupes de l'ASL afin d'empêcher tout débordement. Toutes les demandes qu'ils nous adressent, à tous les niveaux, sont désormais satisfaites. I. L. - Mais encore ? A. S. - Nous subvenons désormais à tous leurs besoins. Je ne peux pas être plus clair. I. L. - Comment faire pour unifier une opposition aussi divisée ? A. S. - Ce n'est pas aussi facile que vous pouvez le croire en Occident. L'opposition a été brimée par la dictature, elle a souffert de la toute-puissance du parti Baas (3) pendant très longtemps. Totalement muselée, elle ne pouvait ni s'exprimer ni s'organiser. Depuis que la révolution a éclaté, elle se montre au grand jour. Mais la chape de plomb sous laquelle elle a vécu pendant tant d'années a empêché la naissance d'une structure capable de fédérer l'ensemble. Le spectre est éclaté : outre quelques figures nationales qui émergent, on y trouve à la fois de vieux et de jeunes partis ainsi que des petits groupes de rebelles. Il appartient donc au CNS de nouer le contact entre ces divers éléments et de les rallier à un projet commun. Nous y parvenons progressivement. Le courant des « Syriens libres », par exemple, qui est apparu récemment, vient juste de nous rejoindre. Nous voulons aussi coopérer avec les mouvements issus de la société civile, comme celui de Michel Kilo (4). Je suis optimiste, car les sujets qui nous unissent sont bien plus nombreux que ceux qui nous opposent. Mais ce processus ne peut pas se réaliser en un clin d'oeil. Il faudra du temps. I. L. - Quelles sont les véritables raisons du départ de Bassma Kodmani (5) du CNS ? A. S. - Bassma Kodmani est un membre fondateur du CNS. C'est une amie et une patriote qui a beaucoup travaillé avec nous et qui faisait partie du bureau exécutif. Elle en était, d'ailleurs, la seule femme. Elle l'a quitté car elle était en désaccord avec d'autres membres du bureau sur certains sujets. On a beaucoup dit qu'elle se heurtait aux opinions des islamistes. Mais elle n'était pas forcément d'accord, non plus, avec les libéraux. Je reconnais que le CNS a commis des erreurs ; il n'en est pas moins la principale organisation d'opposition. Mieux vaut essayer d'améliorer son fonctionnement plutôt que de quitter le navire à un moment aussi crucial pour l'avenir de la Syrie ! I. L. - De quelles erreurs parlez-vous ? A. S. - Nous avons commis des fautes que j'appellerais « administratives ». Nous aurions pu mieux choisir nos interlocuteurs vis-à-vis de l'étranger. L'esprit d'équipe, entre des gens venus d'horizons si différents, n'a pas été assez travaillé. Nous n'avons pas exploité tout le potentiel dont nous disposions. Et nous n'avons pas assez investi dans les expatriés qui nous ont rejoints pour aider la révolution. Ces erreurs de jeunesse s'expliquent aisément : nous sommes tous basés dans des pays différents, la communication est difficile. Il est vrai que la tâche que nous avons à accomplir est titanesque. I. L. - Avec quels pays entretenez-vous les meilleures relations ? A. …