Les Grands de ce monde s'expriment dans

UN SAUVEUR POUR LE PAKISTAN ?

Entretien avec Imran Khan, Premier ministre du Pakistan depuis août 2018, par Emmanuel Derville, Journaliste indépendant, correspondant du Point et de Politique Internationale au Pakistan.

n° 137 - Automne 2012

Imran Khan Emmanuel Derville - Vous avez eu une existence particulièrement riche : né au Pakistan dans une famille bourgeoise en 1952, vous avez fait une partie de vos études à Oxford dans les années 1970. Puis vous avez été capitaine de l'équipe pakistanaise de cricket et, en même temps, une personnalité enviée de la jet-set. Dans les années 1980 et 1990, vous êtes devenu un musulman fervent et un philanthrope. Aujourd'hui, vous êtes un chef de parti déterminé à remporter les prochaines législatives et à devenir premier ministre. On a souvent tendance à dire qu'il y a deux Imran Khan, l'un libéral, l'autre conservateur et proche des islamistes. Est-ce exact ? Comment vous définissez-vous ? Imran Khan - Je suis un homme spirituel. La découverte de Dieu a changé mon existence. Après ma retraite sportive, j'aurais pu devenir consultant et passer ma vie à parler de cricket pour gagner beaucoup d'argent et vivre confortablement. Mais la foi en Dieu a transformé mon regard sur l'existence. J'ai décidé de m'engager pour les autres en construisant un centre anti-cancéreux au Pakistan en 1994 puis en me lançant en politique. La religion m'a rendu altruiste et compatissant. J'ai compris que j'avais le devoir de servir ceux qui n'étaient pas aussi privilégiés que moi. E. D. - Pendant les dix années qui ont suivi la formation de votre parti, le PTI, en 1996, vous vous êtes trouvé dans l'ombre des grandes formations politiques. Mais, ces derniers temps, votre popularité s'est brusquement développée. Comment l'expliquer ? I. K. - Les gens en ont assez de l'alternance entre le Parti du peuple pakistanais (PPP), de l'actuel président de la République Asif Ali Zardari, et la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de Nawaz Sharif, au pouvoir dans la province du Penjab. Ce sont des organisations corrompues jusqu'à la moelle. Au Pakistan, tout le monde sait bien que Zardari et Sharif ont placé des milliards de roupies d'argent sale dans des comptes bancaires à l'étranger ! Comme ils s'intéressent plus à leur fortune personnelle qu'à leurs concitoyens, ces dirigeants sont incapables de gouverner correctement. La désillusion à l'égard du PPP et du PML-N a pris de l'ampleur depuis leur retour aux affaires en 2008, à la fin de la dictature militaire du général Musharraf. Mon parti bénéficie de cette crise de confiance. Pour une raison toute simple : moi, je ne suis pas corrompu. Je suis le seul homme politique à qui les gens donnent de l'argent. À travers mes fondations, je gère la plus grande organisation caritative du pays. Dans les années 1990, j'ai construit à Lahore un hôpital qui dispense aux pauvres des traitements gratuits contre le cancer. Je recueille 2 milliards de roupies de dons par an (16,6 millions d'euros) pour financer cet établissement. J'ai également bâti une université grâce à des dons de personnes privées. Et pendant les inondations qui ont dévasté le Pakistan, en 2010, j'ai récolté 2 milliards de roupies en un mois pour venir an aide aux sinistrés. Mon discours contre la corruption plaît et je suis crédible sur ce dossier. E. D. - Dans vos meetings, vous promettez d'éradiquer la corruption en 90 jours si vous êtes élu. Mais la corruption est répandue dans la police, l'administration, la justice et jusqu'au sommet de l'État... Comment comptez-vous la faire disparaître ? Est-ce vraiment réaliste ? I. K. - Je vous concède qu'on ne peut pas faire disparaître intégralement la corruption du jour au lendemain. Quand je promets d'éradiquer ce fléau, je parle de la « grosse » corruption, celle qui gangrène les entreprises publiques. Je pense, en particulier, à la compagnie aérienne nationale, la Pakistan International Airlines, qui perd des milliards de roupies chaque année à cause de la corruption. Les membres du gouvernement ont nommé leurs alliés politiques et leurs proches à des postes clés dans ces entreprises qu'ils traitent comme des vaches à lait. Toute cette clique prélève des pots-de-vin sur les contrats publics. Résultat : les cinq principales compagnies d'État perdent à elles seules 500 milliards de roupies par an (4,2 milliards d'euros). Cette somme représente à peu près le tiers des rentrées fiscales, qui s'élèvent à 1 700 milliards de roupies ! On peut éradiquer cette corruption en changeant les ministres et en instaurant un organisme indépendant qui contrôlera les comptes publics. Il faut, aussi, développer les procédures d'audit interne dans ces grands groupes. Les cadres supérieurs doivent être nommés en fonction de leur mérite et pas parce qu'ils ont des relations haut placées. Enfin, il faut augmenter les salaires des fonctionnaires pour les dissuader de réclamer des pots-de-vin. Je ne vous cache pas que cette réforme de la bureaucratie prendra du temps. Mais on peut y arriver. E. D. - Vous affirmez vouloir en finir avec cette classe politique corrompue qui empêche toute réforme et refuse de payer ses impôts. Mais comment gouverner sans ces politiciens qui siègent tous à l'Assemblée nationale et n'y sont élus que parce qu'ils sont influents dans leur région ? Comment obtenir une majorité au Parlement tout en contournant cette classe ? I. K. - Vous avez raison. Dans plusieurs régions du pays, de grands propriétaires terriens ou des mafieux règnent en maîtres. Ils monnayent leur soutien à un parti politique en promettant de lui apporter le vote des électeurs. En échange, ils obtiennent des investitures et se font élire au Parlement. Mon parti fonctionne autrement. Pour les législatives de 2013, nos candidats, dans chaque district, ne seront investis qu'une fois élus par les militants. Je suis confiant : les électeurs voteront pour eux. Le PTI devient de plus en plus populaire. Nous sommes sur le point de devenir un parti politique de masse. Nous avons 10 millions de membres. C'est du jamais vu dans l'histoire de ce pays. E. D. - Il n'empêche que dans certaines régions comme la province méridionale du Sindh et le sud de la province du Penjab, les féodaux contrôlent la police locale et l'administration. Il est impossible de les contourner... I. K. - C'est incontestable. Au …