Ioulia Timochenko, égérie de la « révolution orange » ukrainienne de 2004, qui fut à deux reprises premier ministre de son pays, est actuellement sous bonne garde dans un hôpital de Kiev où elle soigne une hernie discale aiguë. Elle doit cette hospitalisation aux pressions de l'Union européenne qui ont fini par amener le président de la République, Viktor Ianoukovitch, à l'extraire de la prison où elle croupissait, sans soins, depuis son arrestation, le 5 août 2011. En dépit de la surveillance incessante dont elle fait l'objet, y compris lors des actes les plus intimes de la vie privée, elle est parvenue à transmettre ses réponses aux questions de la rédaction de Politique Internationale. L'ancienne chef du gouvernement conteste formellement les accusations portées contre elle par les juges à la solde du pouvoir exécutif qui l'ont condamnée, en octobre 2011 à sept années d'emprisonnement pour abus de pouvoir. Les gouvernements des principaux pays démocratiques et les institutions de l'Union européenne suivent son cas avec la plus grande attention. Les Européens et les Américains, de même que les principales ONG spécialisées dans la défense des droits de l'homme, estiment eux aussi que Ioulia Timochenko et ses amis politiques emprisonnés sous divers prétextes sont victimes de persécutions politiques ordonnées par le pouvoir en place à Kiev. La Cour européenne des droits de l'homme devrait se prononcer dans les prochains mois sur la légalité du procès fait à Ioulia Timochenko. Si la CEDH venait à trancher en sa faveur et si les autorités ukrainiennes ne tenaient pas compte de cette décision, la voie serait alors ouverte à l'adoption de sanctions contre Kiev. En octobre 2003, Politique Internationale avait décerné à Ioulia Timochenko le « Prix du courage politique ». Celui-ci lui fut remis, solennellement, à la Sorbonne. P. I.
Politique Internationale - Comment expliquez-vous l'acharnement du pouvoir à votre égard ? Ioulia Timochenko - La persécution persistante et orchestrée dans les moindres détails dont moi-même et mes amis de l'opposition sommes actuellement les victimes n'est qu'une petite partie d'une stratégie globale mise en oeuvre par les dirigeants du parti au pouvoir. C'est une preuve que je suis une personnalité politique qui compte : en m'empêchant de participer à la vie politique et, notamment, aux dernières élections législatives, organisées en octobre 2012, le régime cherche à se protéger contre toute forme d'opposition parlementaire. Le président et ses acolytes savent très bien que j'ai la capacité de redresser le pays et de rassembler les forces qui s'opposeront à l'instauration d'une dictature en Ukraine. La répression dont je fais l'objet, de même que d'autres personnes éprises de liberté, est due au fait que nous combattons leur logique cannibale envers la nation, leur corruption et les manipulations de la loi auxquelles ils se livrent en toute impunité, usant du mensonge le plus éhonté et des plus grossières falsifications. Ils ne tolèrent pas notre manière de faire de la politique, fondée sur un débat démocratique civilisé et guidée par les valeurs fondamentales de l'Union européenne. Pour nous, ces valeurs ne sont pas que des mots. P. I. - Comment votre situation judiciaire évolue-t-elle ? I. T. - Vous savez, le noble terme « judiciaire » est tout à fait inadéquat pour décrire la manière dont fonctionne le système de répression ukrainien ! Tout cela n'a rien à voir avec la justice. Il serait vain et inutile de vouloir examiner d'un point de vue légal les accusations absurdes formulées contre moi. La procédure engagée à mon encontre a violé tous les principes fondamentaux de la Convention européenne des droits de l'homme. Savez-vous que je suis la personnalité politique ukrainienne sur laquelle on a le plus enquêté ? Ainsi, pendant dix ans, le régime de Leonid Koutchma (1) a investi des sommes énormes et mobilisé une armée de juristes à sa solde pour mettre au jour des pratiques illégales ou des abus de pouvoir dont je me serais rendue coupable. Résultat : les deux chambres de la Cour suprême ont considéré que ce dossier était dépourvu de toute substance criminelle. Viktor Ianoukovitch a, pour sa part, déversé des millions de dollars sur diverses sociétés internationales d'audit pour examiner mes activités en tant que premier ministre. Elles n'ont rien trouvé. Alors, la totalité de la machine d'État s'est mise en mouvement : les juges et les procureurs ont été mis à son service pour me faire condamner sur la base de charges fictives. Ils m'ont accusée d'avoir « voulu me fabriquer une image positive auprès de l'électorat en résolvant une crise gazière avec la Russie » (2). Le comité danois d'Helsinki (3), mandaté par l'Union européenne, a évalué toutes les poursuites diligentées contre moi : il a conclu que j'étais victime d'un procès politique visant à m'exclure du débat public alors que je suis la principale opposante …
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