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L'EUROPE VUE D'ALLEMAGNE

Le nouveau ministre français en charge des Affaires européennes, Bernard Cazeneuve, avait pris possession de son nouveau bureau en juin 2012 depuis à peine dix minutes qu'il recevait un premier appel téléphonique : son collègue allemand Michael Link l'appelait pour le féliciter et souhaiter une bonne et amicale coopération. Michael Link est ainsi : spontané et direct. Il est né en 1963 à Heilbronn, sur les bords du Neckar, où il a passé son baccalauréat dans un lycée célèbre. Après son service militaire dans un régiment de blindés, Michael Link a effectué ses études supérieures aux universités d'Augsbourg, de Lausanne (Suisse) et de Heidelberg, les achevant comme traducteur diplômé de russe et de français. Collaborateur scientifique de la commission d'enquête « Unité allemande » du Bundestag, chargée des problèmes de la réunification RFA-RDA, à la fin des années 1980, il se fit remarquer par son intelligence exceptionnelle et son engagement européen. Membre du parti libéral allemand FDP depuis 1986, il occupa de 1985 à 1989 le poste de vice-président national des Jeunes libéraux dont il fut en même temps le trésorier, tout en étant également trésorier et membre du comité directeur de la section FDP de Heilbronn. Au cours de ces mêmes années, il a représenté les Jeunes libéraux au sein de la présidence fédérale du FDP. Chargé de mission de 1999 à 2002 auprès du député Klaus Kinkel (membre du FDP et ministre des Affaires étrangères de 1992 à 1998), Michael Link fut ensuite de 2002 à 2005 conseiller au sein du groupe de travail « Politique internationale » du groupe parlementaire FDP. Élu député au Bundestag allemand aux législatives de 2005 qui virent Angela Merkel arriver à la chancellerie, il conserva son siège de député lors des législatives de 2009 quand le FDP permit à Angela Merkel (parti chrétien-démocrate, CDU) de conserver ses fonctions en se coalisant avec elle. Traditionnellement, les Affaires étrangères sont l'apanage des libéraux. C'est donc tout logiquement que leur président Guido Westerwelle obtint ce portefeuille en 2009. Récemment, la jeune génération du parti prit les commandes : Westerwelle (né en 1961) dut céder en mai 2011 la présidence du parti à Philipp Rösler (né en 1973), ministre de l'Économie depuis 2009. En 2012, propulsé par ce renouvellement, Michael Link devient ministre délégué aux Affaires étrangères chargé des Affaires européennes et secrétaire général pour la coopération franco-allemande. L'homme est tout le contraire d'un bureaucrate. On ne compte plus les groupements et associations dont il est membre : Europa-Union, Société allemande de politique étrangère, Société allemande de l'Europe de l'Est, Société de l'Europe du Sud-Est, Association atlantique allemande, Fédération des Samaritains ouvriers, Mouvement allemand pour l'accompagnement en fin de vie... Ce libéral convaincu, grand défenseur des PME, est fier de rappeler ses origines populaires et artisanales : son grand-père tenait la boucherie-charcuterie de Heilbronn. Depuis l'entrée en fonctions du nouveau pouvoir en France, la compétence pour la relation franco-allemande est descendue d'un étage, passant de la présidence de la République et de la chancellerie aux ministères des Affaires européennes. Mais le lien bilatéral n'en sera que plus fort. Avec son collègue français, Michael Link a rédigé l'additif au traité de l'Élysée adopté lors du 50e anniversaire de ce texte, le 23 janvier 2013. Une sorte de « Cazelink » semble, en effet, avoir remplacé la « Merkozy ». J.-P. P. Jean-Paul Picaper - Monsieur le Ministre, pendant et après la guerre froide l'Allemagne avait été en Europe l'allié le plus proche des États-Unis. Or Barack Obama, qui vient d'être reconduit pour un second mandat, va sans doute continuer à se détourner de l'Europe pour mieux se consacrer au Pacifique. L'Allemagne et l'Europe ne peuvent plus miser sur Washington. L'UE pourra-t-elle se débrouiller toute seule ? Michael Link - Ni l'Europe ni les États-Unis ne pourront se débrouiller seuls. C'est pourquoi il ne faut pas croire que l'Amérique se détourne de l'Europe. Simplement, les États-Unis regardent maintenant plus que jamais dans toutes les directions, y compris vers l'Asie. Mais ils ne sont certainement pas en train de faire un choix entre deux options qui s'excluent mutuellement. Il n'empêche qu'il est très important de renforcer encore nos liens avec Washington ; c'est pourquoi l'Allemagne est favorable à ce qu'un accord de libre-échange soit signé au plus vite entre l'UE et les États-Unis. J.-P. P. - Revenons à l'Europe. La Grèce doit-elle rester dans la zone euro ? Exonérera-t-on les Grecs d'une partie de leur dette ? M. L. - Le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a fait une déclaration importante et fort juste. Il a expliqué que, à l'heure actuelle, une remise de dette serait une « incitation à contresens » (1). Effacer une partie de la dette reviendrait à réduire la pression exercée sur certains pays pour qu'ils réforment leur économie. Quant à savoir si l'ardoise grecque sera effacée un jour, voilà qui relève de la prophétie. Nous avons toujours été en faveur de la mise en oeuvre des instruments économiques et financiers au moment opportun. Amputer la dette en ce moment précis ne serait pas raisonnable. J.-P. P. - Il paraît que le Parlement grec sera démis de ses pouvoirs de décision en matière de politique d'austérité. Est-ce exact ? M. L. - Je vous retourne la question : est-ce vraiment une nouveauté que de voir des États européens renoncer partiellement à leur souveraineté budgétaire ? Au cours de la phase de préparation à l'adhésion à l'UE, d'autres États ont dû, eux aussi, restreindre momentanément leur souveraineté. Nous avons besoin de règles strictes. Les États en difficulté doivent faire des efforts pour rétablir la confiance réciproque. On a donné une chance à la Grèce de se forger un avenir et de recouvrer la confiance qu'elle avait galvaudée. Mais ce n'est pas un chèque en blanc : c'est à elle, maintenant, de remplir ses engagements. Nous aussi, nous avons souscrit des engagements importants en faisant acte de solidarité européenne. Il s'agit à présent de sauvegarder la cohésion de la zone euro - Grèce comprise ! La zone euro ne sera crédible pour les investisseurs du monde entier que si la Grèce continue à en faire partie. J.-P. P. - À l'automne dernier, François Hollande a affirmé que l'euro était sauvé et que la zone euro ne s'effriterait pas. Partagez-vous cette vision ? M. L. - La réalité a plusieurs dimensions …