L'IRAN FACE AUX PRINTEMPS ARABES

n° 138 - Hiver 2013

C'est l'une des personnalités clés de la République islamique d'Iran. Ali Akbar Velayati est le plus proche conseiller du Guide de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei, pour la diplomatie et les affaires étrangères. Ses propos reflètent dès lors la pensée du premier personnage de l'Iran. La diplomatie est un domaine qu'il connaît bien puisqu'il fut ministre des Affaires étrangères pendant près de dix-sept ans. Ce pédiatre de formation, spécialiste des maladies infectieuses - il dirige toujours un hôpital spécialisé dans la lointaine banlieue nord de Téhéran -, est né en 1945 à Rostamabad, au nord de la capitale iranienne. Dans les années 1960, il rejoint le Front national de l'ancien premier ministre nationaliste du Chah, Mohammad Mossadegh. Il prend fait et cause contre le régime de Mohammad-Reza Chah Pahlavi sans, pour autant, s'engager réellement aux côtés du mouvement islamique que dirige alors l'imam Khomeiny. Mais, vers la fin de la monarchie, il collabore avec le clergé à la création d'un « réseau secret islamique » au sein de l'armée. Au lendemain de la victoire de la révolution, en 1979, il adhère au Parti de la république islamique, la principale formation islamiste qui va peu à peu contrôler tous les rouages de l'État. Il est alors nommé vice-ministre de la Santé. En 1981, il est pressenti pour le poste de premier ministre mais sa candidature est rejetée par le Parlement. Quelques mois plus tard, il est élu député de Téhéran. Puis, en novembre de la même année, il devient ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Mir-Hossein Moussavi (actuellement en résidence surveillée) - un poste qu'il conservera jusqu'en août 1997. Il dirigera dès lors la diplomatie de la jeune République islamique dans les moments les plus difficiles, en particulier pendant la guerre contre l'Irak (1980-1988), quand l'Iran se retrouve dans un profond isolement. Lors des négociations irako-iraniennes, en août 1988, à Genève, sa modération inattendue retient l'attention de la communauté internationale. Il est aussi l'un des artisans de la normalisation des relations avec la France et même d'un certain rapprochement. C'est l'époque où Roland Dumas, chef de la diplomatie française, lance depuis la capitale iranienne : « La place Tienanmen n'est pas à Téhéran. » Une visite de François Mitterrand à Téhéran est même à cette époque programmée. Elle sera annulée en raison de l'assassinat à Paris, en 1991, de l'opposant Chapour Bakhtiar, le dernier premier ministre du Chah. Dans le gouvernement d'Ali Akbar Hachemi-Rafsandjani, Ali Akbar Velayati a eu fort à faire : la gestion de l'affaire Rushdie, les accusations de terrorisme lancées par nombre de pays occidentaux, en particulier les États-Unis, l'invasion du Koweït par l'Irak, l'arrivée en Afghanistan des talibans... Très proche du Guide suprême, Ali Akbar Velayati appartient au camp conservateur. Il avait d'ailleurs ouvertement pris le parti de l'hodjatoleslam Ali Nategh-Nouri, candidat malheureux contre le réformateur Mohammad Khatami, lors de la présidentielle de 1997. Aujourd'hui, le conseiller du Guide suprême fait figure de candidat potentiel à la prochaine élection présidentielle du 16 juin - dans les rangs des principalistes (fondamentalistes) -, dont il n'est pas exclu qu'il sorte victorieux. J.-P. P. Jean-Pierre Perrin - Téhéran a dernièrement proposé un plan de règlement du conflit syrien (1). Mais n'est-il pas trop tard pour une réconciliation entre le régime et l'opposition ? Les combats ont atteint un tel niveau d'intensité qu'un cessez-le-feu est-il même envisageable ? Ali Akbar Velayati - Depuis le tout début, nous sommes contre cette guerre et contre l'utilisation de la force armée par l'opposition. Nous croyons, et nous avons essayé d'en convaincre d'autres pays, que le gouvernement et l'opposition doivent s'asseoir ensemble pour discuter et trouver une solution pacifique. Pour répondre à votre question : non, nous ne pensons pas qu'il soit trop tard. D'ailleurs, qu'est-ce qui vous fait penser qu'il serait trop tard ? J.-P. P. - Un camp va probablement l'emporter sur l'autre... A. A. V. - Et quel camp, selon vous ? J.-P. P. - L'opposition, mais je ne saurais dire quand... A. A. V. - On dirait que vous n'êtes pas très au fait de la situation régionale. Selon nos estimations, les pays occidentaux se trompent. En aucun cas les rebelles ne peuvent gagner. Écrivez-le : ils ne vont pas gagner ! J.-P. P. - Pourquoi ? A. A. V. - Nous connaissons bien la situation en Syrie et dans la région. Ce n'est pas parce que les Occidentaux livrent des missiles Patriot à la Turquie et donnent de l'argent et des armes à Al-Qaïda et aux rebelles que ceux-ci vont l'emporter. Car, en face d'eux, ils ont non seulement l'armée syrienne mais aussi des groupes de combattants et des Syriens ordinaires bien entraînés et de plus en plus expérimentés. Ils sont désormais des dizaines de milliers qui combattent aux côtés de l'armée contre les forces d'opposition. Ils ne cessent de croître en qualité et en quantité. J.-P. P. - Il n'empêche qu'une bonne partie d'Alep - la capitale économique du pays et la deuxième ville la plus peuplée de Syrie - est tombée entre les mains de la rébellion et que le régime ne parvient pas à reprendre les quartiers pris par l'opposition... A. A. V. - Vous êtes français. Pendant combien de temps votre pays a-t-il été occupé par les nazis ? J.-P. P. - Quatre ans. A. A. V. - Quatre ans ! Le peuple de France a donc remporté la guerre après quatre ans de lutte contre les nazis. Tous les pays qui ont été occupés pendant la Seconde Guerre mondiale se sont libérés. Certains jours, à Alep, les rebelles progressent ; le lendemain, ils perdent du terrain ; c'est la loi de la guerre. Mais, je le répète, selon notre appréhension de la réalité du champ de bataille, nous ne pensons pas que l'opposition parviendra à ses fins. Il y a d'autres raisons à cela : lorsque vous découvrez que des groupes de combattants, soutenus par des puissances étrangères, viennent chez vous pour renverser votre gouvernement, peu importe que vous soyez satisfait ou non de ce gouvernement ; votre réaction est de faire bloc contre les envahisseurs. C'est aujourd'hui le …