MACEDOINE : LA DERIVE AUTORITAIRE

n° 138 - Hiver 2013

La Macédoine, qui a accédé à l'indépendance en 1990, fait rarement les gros titres des journaux. Lorsqu'on évoque ce petit État de deux millions d'habitants, c'est généralement pour souligner la querelle qui l'oppose à son voisin grec au sujet de sa dénomination officielle. Cette question est effectivement d'une grande importance dans la mesure où l'hostilité d'Athènes pèse lourdement sur l'avenir européen du pays. Mais il existe d'autres raisons de se préoccuper de son sort : la plus méconnue des anciennes républiques yougoslaves se trouve en proie à une inquiétante dérive nationaliste et autoritaire. Un âge d'or fantasmé Depuis décembre 2005, la Macédoine dispose du statut de pays candidat à l'Union européenne. Pourtant, aucun progrès n'a été accompli dans la voie de l'intégration, avant tout en raison du conflit avec la Grèce. Face à cette impasse, et alors que la Macédoine est, plus encore que ses voisins, ravagée par la crise économique, le gouvernement de Nikola Gruevski a fait le choix d'une fuite en avant dans l'affirmation et la construction ex nihilo d'une « légende nationale » : les Macédoniens contemporains, martèle-t-on fièrement à Skopje, sont les héritiers directs de ceux de l'Antiquité. Cette exaltation nationale risque de tendre encore plus les relations avec l'importante minorité albanaise qui représente un quart de la population. Le menton levé et le regard fier, le soldat serre la hampe de sa lance avec conviction malgré la chaleur étouffante d'une fin d'après-midi estivale et les gouttes de sueur qui coulent sous son casque à plume. À Skopje, les touristes ne sont pas légion, mais les gastarbeiteren - les travailleurs émigrés qui reviennent au pays durant l'été - défilent pour se prendre en photo avec les figurants qui posent d'un air martial devant le « Guerrier à cheval ». Officiellement, la statue ne représente pas Alexandre le Grand, mais les traits du conquérant, qui brandit son épée vers le ciel, sont aisément reconnaissables. Avec son piédestal garni de lions et de fontaines, le monument atteint la hauteur respectable de 24 mètres. Depuis deux ans, la capitale macédonienne est un immense chantier. Sur la place de Macédoine, on a érigé une rotonde néo-classique, de majestueuses statues du tsar Samuil (qui régna au Xe siècle sur les pays macédoniens et bulgares), de l'empereur byzantin Justinien ou encore de Metodija Andonov Cento, le premier dirigeant communiste de la République yougoslave de Macédoine. « Ces ouvrages ont été construits dans l'urgence, sans consultation ni planification urbaine et sans la moindre réflexion historiographique. Ils sont en train de défigurer Skopje », déplore Sinisa Jakov Marusic, journaliste du site d'information Balkan Investigative Reporting Network (BIRN). À l'entrée du pont ottoman qui mène à la vieille ville s'élèvent les statues équestres des « révolutionnaires » du début du XXe siècle, les militants de l'Organisation révolutionnaire intérieure de Macédoine (VMRO) qui déclenchèrent, en 1903, l'insurrection contre l'Empire ottoman. Sur l'autre rive du Vardar, le fleuve qui traverse Skopje, de nouveaux édifices aux façades néo-classiques abritent le musée archéologique, le théâtre et le « musée …