Né en 1967, Igor Kaliapine est représentatif de la jeunesse russe formée à l'époque de la glasnost et de la perestroïka gorbatchéviennes. Ce natif de Nijni Novgorod milite pour les droits de l'homme dans les années 1980-1990 puis fonde, en 2000, le Comité contre la torture. Cette ONG interrégionale enquête sur l'usage systématique de la torture dans les prisons et commissariats russes et aide les victimes à obtenir justice et réparation. Avec sa formation de scientifique puis de juriste, Kaliapine jouit d'une grande reconnaissance en Russie et à l'étranger grâce à la méticulosité et à l'objectivité des investigations menées par son ONG. En 2009, il a formé un groupe de juristes qui enquête, par intermittence, sur les violations grossières des droits humains en Tchétchénie. À l'heure où le régime de Poutine durcit la législation visant à entraver les activités de l'opposition extra-parlementaire et des ONG qui défendent les droits de l'homme, ce provincial honnête et intègre incarne l'espoir de voir émerger une Russie plus démocratique et plus juste. G. A.
Galia Ackerman - Monsieur Kaliapine, vous êtes physicien de formation. Pouvez-vous nous expliquer quand et comment vous êtes devenu un défenseur des droits de l'homme ? Igor Kaliapine - Tout a démarré dans les années 1980. J'étais assistant dans un institut de physique à Nijni Novgorod. J'étais très critique vis-à-vis du système soviétique, mais je ne savais pas comment échapper au carcan idéologique. En 1989, Boris Nemtsov, un jeune scientifique recruté par notre institut l'année précédente, a présenté sa candidature pour devenir député du Soviet suprême. Il tenait un discours radicalement nouveau : il exigeait l'instauration de la propriété privée et du multipartisme, rien de moins ! Je fus bouleversé. Tout naturellement, j'ai cherché à entrer en contact avec d'autres activistes d'obédience démocratique. Le 1er mai 1989, je suis allé à la manifestation officielle organisée chaque année ce jour-là avec un groupe de jeunes gens qui partageaient mes opinions. Au lieu de défiler sagement, nous avons scandé le slogan : « À bas la dictature du PCUS ! » Comme il fallait s'y attendre, nous avons tous été interpellés. Nous avons été rapidement relâchés, mais les autorités n'en avaient pas fini avec nous : ceux d'entre nous qui avaient un emploi l'ont perdu et ceux qui étaient étudiants ont été expulsés de l'université. Personne ne savait alors que, deux ans plus tard, le drapeau tricolore de la nouvelle Russie flotterait au-dessus du Kremlin ! G. A. - Êtes-vous alors retourné à la physique ? I. K. - Pas du tout. Début 1992, après avoir enchaîné les petits boulots, j'ai créé une entreprise d'emballages plastiques. Comme tant d'autres, je profitais de la nouvelle liberté d'entreprendre. Mais je me suis vite aperçu que les fonctionnaires voyaient dans n'importe quelle affaire une source d'enrichissement... pour eux ! Je subissais sans cesse des contrôles fiscaux, sanitaires et autres, dont le seul objectif était de m'extorquer des pots-de-vin. Parallèlement, des groupes criminels ont fait leur apparition. Ces bandits rackettaient les entrepreneurs... et la police ne voulait pas nous protéger, expliquant que le business privé n'était « pas son affaire ». C'est alors que j'ai créé, avec quelques amis, la Société des droits de l'homme de Nijni Novgorod. Pendant des années, j'ai continué à m'occuper de mon entreprise tout en travaillant, bénévolement, au sein de cette ONG. Finalement, j'ai opté pour le travail à plein temps au sein de l'ONG : c'était devenu ma vraie vocation. G. A. - Cette organisation se consacrait-elle à une problématique en particulier ? I. K. - Notre petite ONG locale recevait chaque année des centaines de plaintes faisant état de l'utilisation de la torture par la police afin d'obtenir des aveux. Lorsque nous visitions des colonies pénitentiaires, de nombreux détenus nous affirmaient qu'ils avaient été sauvagement battus pendant l'instruction. Mais quand nous adressions des interpellations au parquet, on nous répondait systématiquement qu'après vérification les faits cités n'avaient pas été confirmés. Les autorités judiciaires niaient en bloc l'existence du problème ! Face à ce mutisme, j'ai décidé de constituer une équipe …
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