Entretien avec
Alexis Tsipras, Ancien Premier Ministre de Grèce, Président du parti Syriza
par
Jean Catsiapis, Maître de conférences à l'Université Paris-X, spécialiste de la Grèce et de Chypre
n° 138 - Hiver 2013
Jean Catsiapis - Vous êtes le chef de l'opposition depuis les élections du 17 juin 2012. Comment expliquez-vous la spectaculaire progression de votre parti qui a recueilli 26,89 % des suffrages exprimés alors qu'il n'en avait obtenu que 4,69 % en 2009 ? Alexis Tsipras - La crise économique et la politique d'austérité ont provoqué des changements sismiques dans la société grecque. Le traditionnel pouvoir établi s'est aligné sur cette politique absurde, catastrophique et sans issue. Les Grecs savent bien que les sacrifices qu'ils subissent ne produiront aucun résultat positif. Nous avons soutenu, pour notre part, les actions de résistance sociale (4) et expliqué que la crise de la dette ne peut pas être traitée par des mesures financières qui provoquent une récession incontrôlable. Nous avons élaboré une politique de rechange et un programme économique sur lesquels nous avons recherché l'unité la plus large possible. C'est ainsi qu'un grand nombre de nos concitoyens se sont tournés vers nous : à leurs yeux, nous incarnons l'espoir et la solution. J. C. - En 2012, les Grecs ont déjà élu leurs députés à deux reprises : en mai et en juin (5). Pourtant, début novembre, vous avez réclamé la tenue de nouvelles élections législatives anticipées. Ne pensez-vous pas qu'un scrutin supplémentaire risquerait de détériorer encore davantage l'image de la Grèce au sein de l'Union européenne ? A. T. - La Grèce se doit de sortir du programme d'austérité dont je viens de vous dire à quel point je le trouve absurde et catastrophique. La politique imposée avec la complicité des gouvernements grecs provoque une pauvreté inconcevable, le malheur et l'insécurité... et, pendant ce temps, les indicateurs économiques empirent au lieu de s'améliorer ! Chacun peut le constater. À chaque objectif non atteint a répondu une nouvelle vague de mesures qui passent de plus en plus mal, tant au Parlement que dans la société. Le gouvernement élu en juin ne dispose plus que de 150 sièges sur 300 (6). Il y a donc un problème politique qui ne peut être résolu que par un gouvernement de gauche qui dénoncera le Mémorandum (7) de la Commission européenne, de la BCE et du FMI et élaborera un nouvel accord avec nos créanciers. J. C. - Avec quels partis politiques pensez-vous faire alliance pour gouverner la Grèce ? Il est de notoriété publique que les rapports de Syriza avec le parti communiste KKE sont conflictuels et que vous combattez le parti de la gauche démocratique Dimar, qui soutient le gouvernement d'Antonis Samaras... A. T. - Nous n'avons qu'un seul adversaire : la politique d'austérité et de récession. Les autres forces de la gauche ont choisi leur propre voie. Les formidables bouleversements que le pays est en train de vivre les forceront très probablement à reconsidérer leur position. Dans le cas contraire, elles seront marginalisées. De notre côté, nous désirons mettre en oeuvre la collaboration la plus large afin de changer la politique appliquée en Grèce. Si certains ne le souhaitent pas, le rassemblement de la majorité se fera à l'intérieur de notre propre parti. Mais ce n'est pas ce que nous recherchons. Même si nous obtenons la majorité, nous ne cesserons de proposer aux autres forces de la gauche l'unité et la convergence programmatique. J. C. - Comment expliquez-vous que la Grèce ne parvienne pas à sortir de la crise financière, économique et sociale ? A. T. - À l'époque où l'économie grecque se développait à des rythmes élevés et bénéficiait d'une évaluation élogieuse, elle connaissait déjà, en réalité, d'énormes problèmes structurels. Il est mensonger de dire que les Grecs ont dépensé sans travailler. La vérité, c'est que le pays fonctionnait selon un modèle de développement caricatural fondé sur les importations et la consommation. Ce modèle permettait aux banques de s'enrichir très facilement. Par surcroît, les bénéfices des entreprises ainsi que les grandes fortunes bénéficiaient d'une exemption fiscale très élevée ; et à cause des réseaux clientélistes du pouvoir en place, la corruption était omniprésente dans les contrats du secteur public - je pense, en particulier, aux programmes d'armement et aux Jeux olympiques (8). C'est ainsi que le pays s'est trouvé exposé à la crise de la dette. Le crime tient en ce que le gouvernement de l'époque, celui du Pasok, s'est hâté d'ouvrir les outres d'Éole et de faire enfler cette crise de manière à imposer plus facilement les mesures d'austérité. Or les mesures d'austérité provoquent la récession. La récession entraîne des infléchissements des buts économiques poursuivis car on ne peut pas gagner de l'argent avec une économie qui ne fonctionne plus. Ces infléchissements suscitent à leur tour des mesures encore plus dures qui ont pour conséquence une récession plus profonde. L'échec de cette politique était programmé dès le premier instant. J. C. - Vous critiquez les mesures d'austérité décidées depuis 2009 par les différents gouvernements grecs. Mais vous, que proposez-vous, concrètement ? Souhaitez-vous que la Grèce annule unilatéralement sa dette souveraine, ou bien qu'elle la renégocie avec l'UE ? A. T. - Je vous l'ai dit : le Mémorandum qui a été imposé à la Grèce conduit le pays à une faillite complète. C'est pourquoi il faut cesser de l'appliquer. Nous visons l'effacement d'une partie de la dette provoquée par les spéculateurs ou qui nous a été imposée de manière fourbe - par exemple pour satisfaire certains intérêts. Pour le reste, il faut qu'il y ait une indexation de nos dettes sur la croissance. Pour une raison simple : c'est seulement s'il y a de la croissance en Grèce que nous pourrons payer nos dettes. C'est cette solution qui a été appliquée à l'Allemagne en 1953 (9). Le plus important, toutefois, est qu'il y ait une solution européenne globale au problème de la dette, ce pour quoi nous allons nous battre de toutes nos forces. J. C. - Et si les États créanciers rejettent cette solution ? A. T. - Il est dans leur intérêt d'accepter ce que nous proposons. Si la Grèce fait faillite, ils perdront tout ! J. C. - Vous avez …
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