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LETTONIE : SORTIE DE CRISE MODE D'EMPLOI

Entretien avec Valdis Dombrovskis, Premier ministre de la République de Lettonie depuis mars 2009. par Antoine Jacob, journaliste indépendant couvrant les pays nordiques et baltes. Auteur, entre autres publications, de : Les Pays baltes, Lignes de repères, 2009 ; Histoire du prix Nobel, François Bourin Éditeur, 2012.

n° 138 - Hiver 2013

Valdis Dombrovskis Antoine Jacob - Lors d'une visite à Riga en juin 2012, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a estimé que votre pays avait obtenu « des résultats incroyables ». Êtes-vous surpris d'entendre de tels compliments concernant la manière dont la Lettonie s'est attaquée à ses problèmes et a réussi à sortir de la récession ? Valdis Dombrovskis - Je ne suis pas surpris puisque notre gestion de la crise a été couronnée de succès. Nous avons procédé aux plus importants ajustements budgétaires de l'Union européenne proportionnellement à notre population : nous sommes allés encore plus loin que la Grèce ! Et notre économie est celle qui, cette année, a progressé le plus rapidement de toute l'UE : le taux de croissance s'est élevé à 6,9 % au premier trimestre 2012, 5,1 % au deuxième et 5,3 % au troisième. A. J. - Comment êtes-vous parvenus à inverser la tendance ? V. D. - Nous avons avancé dans trois directions principales. La première a consisté à consolider nos finances publiques (1). Il n'existait pas d'autres options viables que la réduction du déficit budgétaire. Pour une raison évidente : la stabilité financière est une condition absolument nécessaire à la croissance économique. Grâce à cette stabilité retrouvée, les banques se remettent à prêter de l'argent aux individus et aux entreprises, les capitaux ne fuient pas le pays, les gens savent à quoi s'en tenir et peuvent dépenser à nouveau, etc. D'ailleurs, dès que nos finances publiques ont été remises en ordre, la croissance est revenue. C'est pourquoi j'estime que le débat européen actuel, que l'on réduit à « croissance contre austérité », est mal posé. La Lettonie a subi la plus grande cure d'austérité d'Europe et pourtant, moins de trois ans plus tard, elle jouit de la plus forte croissance parmi les États membres ! Autre axe important : la relance économique. Lorsque nous avons réduit nos déficits, nous ne pouvions pas compter sur la demande intérieure pour dynamiser l'économie dans la mesure où la crise battait son plein. Ce rebond devait provenir des exportations. Nous avons donc dû promouvoir la production industrielle et améliorer le climat des affaires pour relancer les exportations. Sur ce point, les fonds européens ont joué un rôle central : c'était notre principal moyen de redynamiser l'économie nationale. Nous avons accéléré l'absorption de ces fonds dès 2009, puis durant les deux années suivantes. Nous avons également pris des mesures pour réduire le fardeau administratif et alléger les régulations. Selon l'index Doing business de la Banque mondiale, la Lettonie a progressé de dix places en 2011 pour atteindre le 21e rang. C'est la première fois que nous faisons mieux que nos voisines baltes, l'Estonie (24e) et la Lituanie (27e). Dans le classement 2012, la Lettonie a toutefois perdu quatre places, et est de nouveau devancée par l'Estonie (21e). Troisième axe principal : nous avons créé un filet de sécurité social durant la crise pour faire face à ses conséquences humaines. Cela s'est traduit, entre autres, par un allongement de la période durant laquelle les indemnités chômage peuvent être perçues et par une hausse du niveau du revenu minimum garanti versé une fois ces indemnités expirées. L'État a décidé de cofinancer ce revenu minimum garanti et les indemnités logement afin d'alléger le fardeau des municipalités, dont bon nombre étaient en difficulté. Nous avons aussi amélioré l'accès des plus défavorisés aux soins de santé. Enfin, plus important encore, nous avons lancé un grand programme destiné à donner aux chômeurs un emploi temporaire. Plus de 100 000 personnes en ont bénéficié (2). Ce programme est encore en cours, même si son ampleur a été réduite. Voilà pourquoi il est possible de parler de success story lettonne. Je voudrais ajouter que, pour 2012, le déficit budgétaire devrait être inférieur à 1,9 % du PIB. En 2013, il sera inférieur à 1,4 %. Il y a donc une once de vérité lorsqu'on présente la Lettonie comme un « exemple réussi de sortie de crise ». Surtout si l'on compare sa situation avec celles qui prévalent dans de nombreux autres pays de l'UE, y compris au sein de la zone euro. A. J. - Dans quel état d'esprit étiez-vous lorsque vous êtes devenu premier ministre, en mars 2009 ? V. D. - La décision n'a pas été facile à prendre. Le pays était « au bord de la faillite », comme je l'ai dit dès ma première déclaration publique après avoir accepté ce poste. Cette faillite, il nous fallait agir d'urgence pour l'éviter. Mon parti et moi-même nous trouvions jusqu'alors dans l'opposition - et cela, depuis 2006. Devions-nous retourner aux affaires et gérer tous les problèmes créés par les précédents gouvernements ? La tâche était considérable. Nous avons néanmoins décidé de prendre nos responsabilités, alors que les partis de la coalition sortante fuyaient les leurs. Nous possédions déjà une certaine expérience de la gestion responsable du pays. Lors de notre précédent passage à la tête du gouvernement, de fin 2002 à début 2004, nous avions introduit un régime d'austérité. J'étais alors ministre des Finances. L'objectif était d'atteindre l'équilibre budgétaire en 2005. Dans l'opposition comme dans l'opinion, nombreux étaient ceux qui s'interrogeaient sur notre programme. Selon eux, le pays n'avait pas besoin d'une telle potion amère en cette période de forte croissance économique. Et lorsque nous avons quitté le gouvernement, nos mesures d'austérité ont été supprimées. La grande fête du crédit et de la consommation a commencé, en Lettonie comme ailleurs. Mais alors que notre taux de croissance annuelle était passé à deux chiffres, le pays ne parvenait toujours pas à équilibrer son budget. C'est devenu un vrai casse-tête lorsque cette croissance a cédé la place à une récession à deux chiffres (3) ! En revenant au pouvoir en 2009, mon parti et moi avons remis l'accent sur la discipline fiscale. A. J. - Pour autant, ce choix de l'austérité a-t-il été aussi facile et aussi évident que vous semblez le dire ? Après tout, d'autres options ne s'offraient-elles pas à vous, des options qui …