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L'EUROPE VUE D'ALLEMAGNE

Entretien avec Michael Link, Ministre allemand des Affaires européennes depuis 2012. par Jean-Paul Picaper, responsable du bureau allemand de Politique Internationale.

n° 138 - Hiver 2013

Michael Link Jean-Paul Picaper - Monsieur le Ministre, pendant et après la guerre froide l'Allemagne avait été en Europe l'allié le plus proche des États-Unis. Or Barack Obama, qui vient d'être reconduit pour un second mandat, va sans doute continuer à se détourner de l'Europe pour mieux se consacrer au Pacifique. L'Allemagne et l'Europe ne peuvent plus miser sur Washington. L'UE pourra-t-elle se débrouiller toute seule ? Michael Link - Ni l'Europe ni les États-Unis ne pourront se débrouiller seuls. C'est pourquoi il ne faut pas croire que l'Amérique se détourne de l'Europe. Simplement, les États-Unis regardent maintenant plus que jamais dans toutes les directions, y compris vers l'Asie. Mais ils ne sont certainement pas en train de faire un choix entre deux options qui s'excluent mutuellement. Il n'empêche qu'il est très important de renforcer encore nos liens avec Washington ; c'est pourquoi l'Allemagne est favorable à ce qu'un accord de libre-échange soit signé au plus vite entre l'UE et les États-Unis. J.-P. P. - Revenons à l'Europe. La Grèce doit-elle rester dans la zone euro ? Exonérera-t-on les Grecs d'une partie de leur dette ? M. L. - Le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a fait une déclaration importante et fort juste. Il a expliqué que, à l'heure actuelle, une remise de dette serait une « incitation à contresens » (1). Effacer une partie de la dette reviendrait à réduire la pression exercée sur certains pays pour qu'ils réforment leur économie. Quant à savoir si l'ardoise grecque sera effacée un jour, voilà qui relève de la prophétie. Nous avons toujours été en faveur de la mise en oeuvre des instruments économiques et financiers au moment opportun. Amputer la dette en ce moment précis ne serait pas raisonnable. J.-P. P. - Il paraît que le Parlement grec sera démis de ses pouvoirs de décision en matière de politique d'austérité. Est-ce exact ? M. L. - Je vous retourne la question : est-ce vraiment une nouveauté que de voir des États européens renoncer partiellement à leur souveraineté budgétaire ? Au cours de la phase de préparation à l'adhésion à l'UE, d'autres États ont dû, eux aussi, restreindre momentanément leur souveraineté. Nous avons besoin de règles strictes. Les États en difficulté doivent faire des efforts pour rétablir la confiance réciproque. On a donné une chance à la Grèce de se forger un avenir et de recouvrer la confiance qu'elle avait galvaudée. Mais ce n'est pas un chèque en blanc : c'est à elle, maintenant, de remplir ses engagements. Nous aussi, nous avons souscrit des engagements importants en faisant acte de solidarité européenne. Il s'agit à présent de sauvegarder la cohésion de la zone euro - Grèce comprise ! La zone euro ne sera crédible pour les investisseurs du monde entier que si la Grèce continue à en faire partie. J.-P. P. - À l'automne dernier, François Hollande a affirmé que l'euro était sauvé et que la zone euro ne s'effriterait pas. Partagez-vous cette vision ? M. L. - La réalité a plusieurs dimensions et, dans le contexte actuel, la plus importante de toutes est le facteur temps. C'est pourquoi on ne peut pas dire : à partir d'aujourd'hui, nous n'avons plus de problème. L'essentiel est de faire en sorte qu'une crise comme celle que nous avons connue ne se renouvelle pas. Certes, nous assistons à un retour très progressif de la compétitivité et de la productivité au Portugal, en Grèce et dans d'autres États. Mais même si nous maîtrisons aujourd'hui les pires des symptômes de la crise, nos instruments ne sont pas encore suffisants pour empêcher le retour de celle-ci. C'est pourquoi, dans le cadre de l'Union économique et monétaire, nous sommes en train de mettre au point un organisme de surveillance des banques (2) et d'élaborer les conditions, sanctions et mécanismes requis pour garantir que tous les États membres respectent les règles que nous avons conçues en commun. Nous n'aurons surmonté la crise qu'une fois que des États comme le Portugal, l'Espagne et la Grèce seront de nouveau compétitifs sur les marchés et que nous aurons mis en place les palliatifs nécessaires pour empêcher une réédition de la crise. J.-P. P. - Peut-on imaginer une Europe sans l'euro ? Peut-on revenir aux anciennes monnaies nationales ? M. L. - Nous voulons l'Europe avec l'euro. Je ne peux pas imaginer une autre Europe. J.-P. P. - Les visites de la chancelière allemande au Portugal, en Espagne et en Grèce, en novembre 2012, ont été ponctuées de violentes manifestations. Bien que l'Allemagne soit le principal bailleur de fonds de l'Europe, l'ambiance dans l'UE est quand même plutôt germanophobe. N'est-ce pas paradoxal ? Est-ce que cela vous dérange ? M. L. - Nous sommes dans une situation qui exige de sévères réformes. Les Parlements du Portugal, de l'Espagne et de la Grèce ont voté ces réformes contraignantes. Nous savons qu'elles sont très dures à supporter pour leur population et nous éprouvons du respect pour les protestations de ces pays. Mais il ne faut pas oublier que les États d'Europe de l'Est ont dû accomplir des réformes comparables après la chute du communisme. Jetez un coup d'oeil sur l'évolution de la Pologne entre 1989 et 2012. Si la Pologne se porte si bien aujourd'hui, c'est que, vingt années durant, elle a fait des réformes ! La Grèce et l'Espagne commencent à emprunter la même voie. Nous devons les épauler dans un esprit de solidarité mais, aussi, les encourager à se réformer. C'est un message qui dérange, nous le savons. En tout cas, il a le mérite d'être vrai. J.-P. P. - En Allemagne même, les adversaires de l'euro se font de plus en plus entendre. De nombreux livres hostiles à la monnaie unique ont été récemment publiés (3). Les journaux d'extrême droite tirent à boulets rouges contre l'euro. Une majorité d'Allemands est vulnérable à cette propagande et se détourne de l'Europe. Le danger de voir le gouvernement perdre le soutien populaire en la matière est-il réel ? M. L. - Il y a, en effet, de …