Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'IRAN FACE AUX PRINTEMPS ARABES

Entretien avec Ali Akbar Velayati, Premier conseiller du Guide de la révolution pour la diplomatie et les affaires étrangères depuis 19 par Jean-Pierre Perrin, journaliste, spécialiste du Moyen-Orient.

n° 138 - Hiver 2013

Ali Akbar Velayati Jean-Pierre Perrin - Téhéran a dernièrement proposé un plan de règlement du conflit syrien (1). Mais n'est-il pas trop tard pour une réconciliation entre le régime et l'opposition ? Les combats ont atteint un tel niveau d'intensité qu'un cessez-le-feu est-il même envisageable ? Ali Akbar Velayati - Depuis le tout début, nous sommes contre cette guerre et contre l'utilisation de la force armée par l'opposition. Nous croyons, et nous avons essayé d'en convaincre d'autres pays, que le gouvernement et l'opposition doivent s'asseoir ensemble pour discuter et trouver une solution pacifique. Pour répondre à votre question : non, nous ne pensons pas qu'il soit trop tard. D'ailleurs, qu'est-ce qui vous fait penser qu'il serait trop tard ? J.-P. P. - Un camp va probablement l'emporter sur l'autre... A. A. V. - Et quel camp, selon vous ? J.-P. P. - L'opposition, mais je ne saurais dire quand... A. A. V. - On dirait que vous n'êtes pas très au fait de la situation régionale. Selon nos estimations, les pays occidentaux se trompent. En aucun cas les rebelles ne peuvent gagner. Écrivez-le : ils ne vont pas gagner ! J.-P. P. - Pourquoi ? A. A. V. - Nous connaissons bien la situation en Syrie et dans la région. Ce n'est pas parce que les Occidentaux livrent des missiles Patriot à la Turquie et donnent de l'argent et des armes à Al-Qaïda et aux rebelles que ceux-ci vont l'emporter. Car, en face d'eux, ils ont non seulement l'armée syrienne mais aussi des groupes de combattants et des Syriens ordinaires bien entraînés et de plus en plus expérimentés. Ils sont désormais des dizaines de milliers qui combattent aux côtés de l'armée contre les forces d'opposition. Ils ne cessent de croître en qualité et en quantité. J.-P. P. - Il n'empêche qu'une bonne partie d'Alep - la capitale économique du pays et la deuxième ville la plus peuplée de Syrie - est tombée entre les mains de la rébellion et que le régime ne parvient pas à reprendre les quartiers pris par l'opposition... A. A. V. - Vous êtes français. Pendant combien de temps votre pays a-t-il été occupé par les nazis ? J.-P. P. - Quatre ans. A. A. V. - Quatre ans ! Le peuple de France a donc remporté la guerre après quatre ans de lutte contre les nazis. Tous les pays qui ont été occupés pendant la Seconde Guerre mondiale se sont libérés. Certains jours, à Alep, les rebelles progressent ; le lendemain, ils perdent du terrain ; c'est la loi de la guerre. Mais, je le répète, selon notre appréhension de la réalité du champ de bataille, nous ne pensons pas que l'opposition parviendra à ses fins. Il y a d'autres raisons à cela : lorsque vous découvrez que des groupes de combattants, soutenus par des puissances étrangères, viennent chez vous pour renverser votre gouvernement, peu importe que vous soyez satisfait ou non de ce gouvernement ; votre réaction est de faire bloc contre les envahisseurs. C'est aujourd'hui le sentiment qui prédomine chez les Syriens. J.-P. P. - Mais le régime syrien n'est pas tellement différent de celui de Saddam Hussein ! Il est, lui aussi, une émanation du parti Baas. Comment pouvez-vous soutenir un régime semblable à celui qui a vous a envahi en septembre 1980 et a causé tant de pertes à l'Iran ? A. A. V. - Si nous étions contre le régime de Saddam Hussein, c'est parce qu'il avait envahi l'Iran et occupé des milliers de kilomètres carrés de notre territoire. Mais ce n'est pas à nous de juger la nature des régimes en place ; c'est au peuple de décider de la forme de son gouvernement. Le principal problème que nous avions avec l'Irak de Saddam Hussein, c'est la guerre qu'il nous a déclarée. Je vous rappelle qu'à cette époque le gouvernement syrien nous a aidés (2). J.-P. P. - Autre conflit qui inquiète la communauté internationale, là encore dans un pays voisin de l'Iran : l'Afghanistan. Le processus de réconciliation entre les États-Unis et les talibans est au point mort. S'il devait reprendre demain et déboucher sur une conférence internationale, l'Iran serait-il prêt à y participer ? A. A. V. - Ce n'est pas à nous de décider à la place des Afghans. Le peuple afghan doit être maître de son destin et ne pas dépendre des décisions américaines. Pourquoi les États-Unis devraient-ils se mêler de l'avenir de l'Afghanistan ? J.-P. P. - J'évoquais une conférence... A. A. V. - Si le gouvernement légal dirigé par Hamid Karzaï décide d'organiser une conférence, je n'y vois aucun inconvénient. Mais de quel droit, au regard des lois internationales, les États-Unis discuteraient-ils avec les talibans ? Quelle est leur légitimité ? De plus, ce serait aller à l'encontre de la volonté du peuple afghan. J.-P. P. - Les talibans sont-ils en train de l'emporter sur le terrain ? A. A. V. - Je ne le crois pas. Les talibans continuent de se battre, d'une part, contre les Américains et, d'autre part, contre les forces du gouvernement afghan. Notre espoir est qu'un processus de réconciliation nationale se mette en place entre le gouvernement, les talibans et tous les autres groupes afghans. C'est notre souhait le plus cher. J.-P. P. - L'Iran aussi a des intérêts en Afghanistan... A. A. V. - Oui, bien sûr. J.-P. P. - Et, traditionnellement, vous soutenez les minorités, en particulier les Hazâras... A. A. V. - Nous soutenons les peuples d'Afghanistan, qu'ils soient pachtoun, tadjik ou hazâra... Ils appartiennent tous à une seule et même nation qui possède une frontière commune et présente bien des similitudes avec l'Iran sur les plans historique, religieux ou culturel. La langue est également un élément qui nous unit puisque la quasi-totalité des Afghans parlent et comprennent le persan. J.-P. P. - Vous n'êtes pas sans savoir que l'Europe vit dans la crainte d'une attaque israélienne sur les sites nucléaires iraniens. Êtes-vous inquiet à l'idée que de tels raids puissent survenir? L'ex-ministre israélien des Affaires étrangères Avidgor …