Entretien avec Carlos Slim, Homme d'affaires mexicain. par David Schner, Directeur de la rédaction du magazine Leaders.
David Schner - Monsieur Slim, voyez-vous dans le contexte économique actuel une ère d'occasions à saisir, ou votre diagnostic est-il plus réservé ? Carlos Slim - Nous avons une vision à long terme, des ressources et un groupe sain. Nous sommes donc à l'affût de bonnes occasions, même en ces temps difficiles. Or vu les problèmes que rencontrent les pays développés à l'heure actuelle, les déficits publics gigantesques qu'on observe aux États-Unis et en Europe, conjugués à un chômage élevé et à une régression de l'activité économique, les gouvernements doivent s'en remettre aux investisseurs privés pour créer des emplois. Pour les milieux d'affaires, l'activité économique reste à un niveau élevé - d'autant que les taux d'intérêt sont bas et permettent d'améliorer la rentabilité des projets. Ces coûts de financement très bas - qui coïncident, par surcroît, avec des disponibilités substantielles au sein du système bancaire - appellent, je vous l'ai dit, une approche à long terme de l'activité économique. D. S. - Estimez-vous que les investisseurs étrangers sont bien informés des possibilités qui s'offrent à eux dans votre pays, le Mexique ? C. S. - Le discours dominant insiste beaucoup sur les BRICS (1), sans prendre en compte le contexte général. Or un pays comme le Mexique dispose, lui aussi, d'un fort potentiel, d'autant que nous avons beaucoup investi. Le système bancaire mexicain est sain, les indicateurs macro-économiques sont au vert, la main-d'oeuvre est bien formée - les Mexicains ont déjà montré qu'ils avaient une grosse capacité de travail et qu'ils étaient efficaces dans tous les secteurs d'activité. Nous disposons donc de tous les atouts nécessaires pour être une destination de choix des investissements, à la fois nationaux et internationaux. Les pays qui s'engagent sur le chemin d'une forte croissance doivent connaître un taux d'investissement égal à 25-30 % de leur produit intérieur brut. Je reconnais que, la plupart du temps, les investissements étrangers ne dépassent pas 10 à 15 % du PIB. Mais ces dernières années, en tout cas au Mexique, les investisseurs étrangers ont été très actifs. Il est donc fort probable que ce taux augmentera dans un futur proche. D. S. - Le développement de vos activités s'appuie-t-il essentiellement sur le marché intérieur mexicain ou sur les marchés internationaux ? C. S. - La croissance de l'économie du Mexique est vigoureuse. De nombreuses sociétés canadiennes et mexicaines opèrent, par exemple, dans le secteur minier. Et nous devons investir entre 70 et 80 milliards de dollars chaque année dans les infrastructures. Tout cela génère de nombreuses opportunités. Il existe également un gisement de croissance dans le logement et l'immobilier. Pour faire court, disons que le Mexique est un pays fortement peuplé, qui couvre de nombreux secteurs d'activité à fort potentiel de croissance et de développement. D. S. - Le gouvernement associe-t-il le secteur privé à ses travaux pour encourager le développement d'activités économiques à fort potentiel ? C. S. - Oui. Le Mexique a adopté une nouvelle loi sur les partenariats public-privé qui a rencontré un grand succès. Au cours des dix dernières années, des projets de plus en plus nombreux ont suivi cette orientation et, chaque fois, avec plus d'intensité. Ce type d'investissements est appelé à croître dans l'avenir. Quel que soit le domaine d'activité concerné, les partenariats public-privé sont sans aucun doute la meilleure façon d'utiliser la capacité d'investissement du privé pour développer les services publics. D. S. - Dans un tel cadre, quel est, à vos yeux, le rôle du secteur public ? C. S. - Comme chacun le sait bien, le gouvernement ne dispose que de deux leviers pour corriger un déficit budgétaire : augmenter les recettes ou réduire les dépenses. Pour accroître les rentrées, vous pouvez augmenter les impôts, ce qui pèse sur la population - car la fiscalité est déjà lourde - et risque d'accentuer les effets de la crise sur la société. Une autre solution peut consister à vendre des actifs publics et à inviter le secteur privé à effectuer les investissements nécessaires à la croissance économique du pays. Dans la société technologique que nous connaissons, avec sa liberté, sa diversité et sa morale, la dimension sociale est cruciale. Il y a beaucoup de choses à faire. Non seulement par des entrepreneurs, mais aussi par des investisseurs. Et ils le feront mieux et plus efficacement que les gouvernements qui dépensent souvent sans compter et ne sont de toute manière pas solvables. D. S. - Vous faites partie des philanthropes les plus en vue à l'échelle de la planète. Comment expliquez-vous l'attention qu'on vous porte ? C. S. - Ma démarche doit beaucoup à une réflexion de mon père qui répétait que, dans la tombe, on n'emporte rien avec soi. Il estimait que nous n'étions que les gestionnaires transitoires de nos affaires. Que si l'on travaille c'est, d'abord, dans le but de réinvestir car l'expérience acquise par un entrepreneur est extrêmement utile pour résoudre les problèmes sociaux. En 1986, nous avons créé une fondation afin de gérer l'ensemble de nos activités philanthropiques. Nous sommes convaincus que nous pouvons et devons agir en la matière. Je ne perçois pas cette orientation comme une simple option ; j'y vois, au contraire, une responsabilité envers la société. D. S. - Vous évoquiez votre père : quel rôle a-t-il joué dans votre parcours ? C. S. - Mon père avait une personnalité peu commune. Il est arrivé au Mexique en 1902, à l'âge de 14 ans. Il a travaillé très dur et a remarquablement réussi. Il nous a donné des postes, à mes deux frères et à moi, pour nous transmettre son savoir. Il avait ouvert un magasin avec pour principal objectif de nous former à des méthodes de travail. D. S. - Les belles causes ne manquent pas. Comment choisissez-vous les domaines où vous agissez ? C. S. - Nous privilégions avant tout la santé et l'éducation. Il y a des années, lorsque nous nous sommes penchés sur les orientations à donner à notre action, nous avons décidé de commencer par la nutrition et la …
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