Entretien avec
Emma Bonino, Ancienne vice-présidente du Sénat italien.
par
Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie
n° 139 - Printemps 2013
Richard Heuzé - Comment interprétez-vous les résultats des élections législatives des 24 et 25 février dernier ? Emma Bonino - J'y vois l'expression d'un gigantesque ras-le-bol à l'égard du système politique. Les commentateurs ont parlé de « remontée » de Berlusconi, mais en termes de suffrages, par rapport aux élections de 2008, où il avait obtenu 38 % des voix, il enregistre un net recul à 25 %. En fait, tout le monde - à commencer par le parti démocrate - le donnait pour politiquement mort, à 10 ou 12 % des intentions de vote. Le seul à avoir mis en garde, dès novembre dernier, contre un possible sursaut de Berlusconi, c'est Romano Prodi qui le connaît bien pour s'être mesuré à lui par deux fois, en 1996 et en 2006. Et il y a évidemment le phénomène Beppe Grillo. L'ampleur de son succès est tout à fait inattendue. Ce qui a joué en sa faveur, c'est, d'un côté, l'austérité nécessaire imposée par Mario Monti qui a valu une forte impopularité au gouvernement sortant et, de l'autre, la lassitude de l'électorat face à la corruption, à l'absence de réformes sur le financement de la politique et aux scandales qui ont éclaté dans les trois dernières semaines de la campagne : entre autres celui de la banque Monte dei Paschi de Sienne, celui de Finmeccanica et celui du groupe d'hydrocarbures ENI (2). R. H. - Comment la nouvelle législature va-t-elle pouvoir fonctionner ? E. B. - Pour l'instant, celui qui a le plus profité de l'écoeurement des électeurs est à l'évidence Beppe Grillo. Détruire, il sait faire. C'est toujours plus facile que construire. Certes, il a su interpréter le ras-le-bol dont je vous parlais. D'ici peu de temps, ses élus vont devoir faire des choix. Il est difficile, à ce stade, de prévoir leur réaction. S'ils sont persuadés que, dans un an, les Italiens retourneront aux urnes, ils ne seront pas pressés de jouer la carte de la responsabilité. De plus, à la Chambre comme au Sénat, ces néo-élus, sans aucune expérience politique, risquent de se diviser. R. H. - Sur quels thèmes une rupture entre Beppe Grillo et les partis traditionnels pourrait-elle se produire ? E. B. - Le point d'accrochage majeur, c'est certainement la « partitocratie » et le manque de transparence, les nominations plus ou moins opaques aux postes de pouvoir. Les journalistes d'investigation Sergio Rizzo et Gian Antonio Stella dans le Corriere et Milena Gabanelli dans l'émission télévisée d'investigation Report dénoncent régulièrement ces abus. Le financement public des campagnes électorales, qui coûte un demi-milliard d'euros à l'État, n'est que la partie émergée de l'iceberg. Sur les dossiers économiques, Beppe Grillo devra bien se rendre à l'évidence et admettre que 2 plus 2 font 4. Quant aux droits civils, qui constituent le troisième élément de son fonds de commerce, il a dit beaucoup de choses contradictoires. On l'a entendu à diverses reprises prendre des positions très dures à l'égard des homosexuels, de l'immigration. J'ai moi-même subi en 2007 les attaques de Grillo sur la question du renvoi des Roumains dans leur pays et j'ai dû monter au créneau en faisant valoir qu'ils étaient des citoyens européens. Ce n'est qu'un exemple. Grillo parle de référendum « on line », ce qui ne veut strictement rien dire. Sur l'usage que l'on peut faire d'Internet, je suis extrêmement réservée. Je l'utilise beaucoup. C'est le principal moyen de communication de notre Parti radical transnational. Mais, sur certains aspects, en particulier l'ultra-simplification des échanges sur Twitter, je reste très sceptique. C'est un instrument qui nie la complexité. R. H. - Comment va évoluer le Parti démocrate ? E. B. - Les responsables du PD feront ce qu'ils ont l'habitude de faire : trouver un bouc émissaire qui devrait être le secrétaire du parti, Pier Luigi Bersani. Je ne m'attends pas à une folle originalité de leur part. Le parti démocrate paie, certes, son soutien au gouvernement de Mario Monti mais surtout le fait d'être perçu comme un parti comme les autres. L'affaire de corruption liée au Démocrate Filippo Penati, à la tête de la province de Lombardie, et le scandale de la banque Monte dei Paschi ont pesé très lourd dans la balance. R. H. - Selon vous, le nouveau Parlement modifiera-t-il la loi électorale ? E. B. - Je le pense. Il serait suicidaire de retourner aux urnes avec cette loi. Quant au système qui sera choisi, mystère. Le modèle le plus souhaitable serait celui en vigueur en France : un scrutin uninominal à deux tours. Ce qui me frappe le plus dans le « Mouvement 5 Étoiles » (M5S) - celui de Beppe Grillo -, c'est son mépris pour le métier de la politique. Les dirigeants du mouvement ont décidé que les présidents de groupe au Sénat et à la Chambre des députés changeraient tous les trois mois. C'est comme vouloir ouvrir un cabinet d'avocats avec des gens qui n'ont jamais exercé ! Savent-ils comment défendre un amendement, à quel moment le présenter, comment le rédiger ? Je n'en suis pas sûre. Et que se passerait-il si les marchés ne tenaient pas ? Le « spread » (différence entre les taux italiens et les taux allemands sur la dette souveraine) ne cesse de grimper. Va-t-on assister à un rapprochement du Parti démocrate (PD) avec le Parti de la liberté (PDL) de Silvio Berlusconi, une forme de « compromis historique » new look ? Votera-t-on fin juillet, en maillot de bain, avec la même loi électorale ? À mon avis, le plus probable, ce sont de nouvelles élections au printemps prochain, peut-être en même temps que les européennes. R. H. - Silvio Berlusconi, avec ses propositions de remboursement de l'impôt foncier (IMU) sur la résidence principale imposé en 2012 par Mario Monti et ses discours irresponsables sur le « spread », n'a-t-il pas apporté de l'eau au moulin de Beppe Grillo ? E. B. - Je ne le crois pas. Beppe Grillo a essentiellement puisé ses voix à gauche, dans les rangs …
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