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LE HAMAS DANS LA BATAILLE

Entretien avec Mahmoud Zahar, Membre du bureau politique du Hamas à Gaza. par Aude Marcovitch, correspondante de Politique Internationale en Israël.

n° 139 - Printemps 2013

Mahmoud Zahar Aude Marcovitch - À quand le début de votre engagement politique remonte-t-il ? Mahmoud Zahar - Tout est parti d'un engagement professionnel. Il s'agissait alors de défendre le salaire des médecins à Gaza. J'ai fait mes études de médecine au Caire. À mon retour à Gaza, je suis devenu le président de l'Association médicale arabe, une sorte de syndicat qui rassemble les médecins, les dentistes, les pharmaciens et les vétérinaires. Je me suis forgé un nom ici en luttant contre l'occupation israélienne qui nous imposait un régime très dur. Israël cherchait à inciter les représentants des classes éduquées comme les ingénieurs, les enseignants ou les médecins à aller travailler hors de Palestine. J'ai été l'un des instigateurs d'une des plus longues grèves palestiniennes, qui a duré trois semaines. Ce fut le premier exemple d'intifada, connue sous le nom d'« Intifada des docteurs ». L'administration civile du gouvernement israélien m'a licencié en 1982. J'ai alors créé une école d'infirmiers et je suis devenu doyen de l'Université islamique. A. M. - Votre attachement à l'islam date-t-il de ces années-là ? M. Z. - De bien avant ! En fait, j'ai toujours baigné dans un climat religieux, dans ma famille et dans mon environnement social. Je n'ai jamais été laïque : je prie, je jeûne, et je n'ai jamais été libéral sur les sujets religieux et nationaux. À Ismaïlia en Égypte où nous étions partis vivre avec ma famille, je fréquentais la mosquée. D'ailleurs, cette mosquée portait le même nom que celle qui se trouve près de chez moi, ici, à Gaza : Rahma, qui veut dire miséricorde. La plupart de mes collègues médecins à Gaza appartenaient à ce qu'on appelait à l'époque le « bloc islamique », qui a pris par la suite le nom de Hamas. Les gens adhéraient à des associations professionnelles pour la bonne raison que les partis politiques n'étaient pas autorisés. J'ai été le premier à inciter ces associations à se regrouper et à travailler ensemble pendant la première Intifada. J'ai même réussi, au moment des grèves, à rassembler des islamistes radicaux comme cheikh Ahmed Yacine et des laïcs radicaux. Nous avons mené des négociations très tendues avec les gouverneurs militaires israéliens. De fil en aiguille, nous sommes devenus les représentants du peuple palestinien. Les Israéliens nous ont alors encouragés à parler également de politique. Ils cherchaient à faire émerger de nouveaux dirigeants pour faire contrepoids à l'OLP. A. M. - Comment ce processus était-il encouragé par les Israéliens ? M. Z. - Ils venaient nous voir, nous invitaient. C'étaient eux qui choisissaient de se mettre en contact avec telle ou telle personne, mais ils ne nous disaient pas qui nous allions rencontrer. Une fois, ils ont organisé une entrevue entre quinze dirigeants locaux et Itzhak Rabin. Moi-même, je l'ai rencontré à deux reprises ; je me suis aussi personnellement entretenu avec Shimon Peres qui était à l'époque ministre des Affaires étrangères. Au début de la première Intifada (1987-1993), le secrétaire d'État américain George Shultz m'a même invité à discuter, à Jérusalem, avec d'autres dirigeants palestiniens. Mais j'ai refusé, car j'ai bien compris qu'il cherchait à nous instrumentaliser dans la perspective de ce qui allait devenir la conférence de Madrid en 1991. A. M. - Que vous disiez-vous lors de ces rencontres avec les dirigeants israéliens ? M. Z. - Lorsque j'ai vu Shimon Peres, en mars 1988, l'Intifada avait démarré depuis trois mois. Il voulait savoir comment résoudre le problème. Il m'a affirmé qu'il était prêt à évacuer Gaza et à détruire les colonies, y compris celles de Cisjordanie, dans les six mois à venir. Je lui ai demandé ce qu'il comptait faire de Jérusalem. Je lui ai dit que personne n'accepterait de ne pas parler de Jérusalem d'abord ; que Jérusalem devait être le premier sujet de discussion. Je lui ai ensuite proposé de placer Gaza et la Cisjordanie sous le contrôle d'une tierce partie - la Ligue arabe ou un pays occidental - jusqu'au retrait israélien. Ensuite, je lui ai dit qu'il fallait nous autoriser à choisir nos propres dirigeants, ceux du Hamas ou du Fatah, par le biais d'élections ou de toute autre manière. J'ai souligné qu'il était important qu'Israël n'intervienne pas dans ce débat interne. Autour de Shimon Peres étaient réunis une quinzaine de responsables israéliens, dont Yossi Beilin et Dan Shomron, qui était à l'époque le chef de l'armée. À la fin, ils n'ont pas réussi à convaincre les vrais représentants palestiniens de participer à la conférence de Madrid, mais seulement un petit nombre de personnes, comme Saeb Erekat. A. M. - L'OLP a ensuite pris votre place dans les discussions avec les Israéliens et vous avez été mis de côté... M. Z. - Pas du tout. C'est nous qui avons choisi de rester en marge. Nous avons refusé que les Israéliens fassent de nous leurs « représentants des Palestiniens ». Nous avons refusé de nous auto-proclamer « représentants des Palestiniens » sans demander la permission au peuple. À la fin de 1992, Israël a décidé le bannissement de plusieurs centaines de dirigeants islamistes, du Djihad islamique et du Hamas, qui ont été expulsés au Liban. J'en faisais partie. Neuf mois plus tard, les accords d'Oslo étaient signés. Lorsque nous sommes revenus en décembre 1993, nous avons retrouvé le champ vide : la plupart des responsables du mouvement avaient été emprisonnés. Puis, trois ou quatre mois plus tard, l'Autorité palestinienne est arrivée, avec des armes. Elle a enfermé nos représentants, confisqué nos armes, notre argent, et a sévi contre nous durant les six années qui ont suivi. A. M. - Vous-même avez été arrêté à la fin des années 1980... M. Z. - J'ai été arrêté une première fois en 1989, avec plus de 2 500 personnes. Ils ont essayé de me faire porter le chapeau des problèmes liés à l'occupation de Gaza. Mais ils n'ont trouvé aucun lien entre moi et le Hamas. Avec Abdel Aziz Al-Rantissi (1), nous voulions rester indépendants afin de pouvoir représenter l'ensemble du peuple palestinien. S'agissant …