Les Grands de ce monde s'expriment dans

DEDIABOLISER LA COREE DU NORD ?

Lorsqu'on évoque la Corée du Nord, c'est la plupart du temps sur un registre moral. On range le régime de Pyongyang dans la catégorie des pires dictatures qui prétendent agir au nom du peuple et qui, en réalité, l'asservissent. On rappelle qu'il ne tient que par la peur : celle de l'armée qui en contrôle tous les rouages ; celle de la police politique qui espionne tout le monde et encourage la délation ; celle des camps de concentration (une demi-douzaine semble-t-il) où croupissent près de 150 000 prisonniers, opposants politiques et droits communs confondus, soit près de 6 % de la population. On souligne l'effarante iniquité d'un système qui détourne toutes les ressources au profit de la dynastie Kim et de ses affidés alors que la majorité des habitants dispose à peine de quoi se nourrir. En outre, archétype de l'« État voyou », la Corée du Nord bafoue systématiquement ses engagements et joue avec la paix du monde en menaçant de frappe nucléaire sa soeur du Sud, l'archipel japonais, voire les îles Hawaï. Rien ne la rebute : ni le terrorisme visant à déstabiliser Séoul (cinquième colonne, assassinats politiques, détournement d'avion), ni le trafic d'armes, ni même, selon Washington, le trafic de drogue et le blanchiment d'argent sale via la banque Delta Asia de Macao. Sans adhérer nécessairement aux valeurs du président George W. Bush, beaucoup ont souscrit à la formule qu'il a popularisée lors de son discours de 2002 sur l'état de l'Union : la Corée du Nord réside sur l'« axe du mal ». Cette condamnation morale est parfaitement justifiée : tout ce que nous savons du pays le prouve. Elle n'en constitue pas moins un double aveu d'impuissance. Dénoncer le régime de Pyongyang n'aide pas à comprendre comment il continue à tenir, envers et contre tous. Définitivement obsolète, son industrie s'est effondrée. Surexploité, son sol ne produit plus de quoi nourrir la population. Suite aux catastrophiques inondations de 1995 et de 1996, une épouvantable famine en aurait décimé entre 4 et 6 %. Quant à la faillite politique, elle est absolue. Cette république populaire n'est plus qu'une monarchie en proie à la pire des réactions aristocratiques. À la tête de l'État, dans l'armée, au sein du parti et jusque dans les milieux artistiques, le mérite a laissé place au népotisme, cimenté par une corruption généralisée. Stigmatiser Pyongyang ne permet pas, non plus, d'expliquer pourquoi le Nord remporte chacune des parties de bras de fer qui l'opposent à la communauté internationale. Certes, ses agressions sont systématiquement condamnées par l'ONU (1). Et depuis qu'il s'est lancé dans la course à l'atome, le pays est soumis à un blocus de plus en plus sévère. Pyongyang n'en est pas moins parvenu à arracher ce qu'il voulait. Grâce au chantage humanitaire, il a obtenu des programmes de l'ONU, de la Chine, des États-Unis et de nombreuses ONG, notamment sud-coréennes, l'aide indispensable pour survivre. Grâce au chantage nucléaire, il s'est également ménagé l'appui de Washington, qui a soutenu un temps sa …