Les Grands de ce monde s'expriment dans

Groenland : l'Eldorado du Grand Nord

Mme Aleqa Hammond est devenue, à 47 ans, premier ministre du Groenland - territoire danois qui jouit d'une autonomie élargie depuis 2009. Son parti social-démocrate, Siumut, est arrivé en tête des élections législatives du 12 mars, devant le parti du chef du gouvernement sortant, Kuupik Kleist, auquel elle reprochait de trop servir les intérêts des investisseurs étrangers. Après une campagne agitée, axée sur l'arrivée des industries minières et l'avenir des relations avec Copenhague, Aleqa Hammond a choisi de constituer une coalition gouvernementale avec deux petites formations, dont le nouveau parti Inuit, qui revendique une certaine forme de nationalisme. Depuis plusieurs années, le Groenland sort de son isolement. Il est vrai que l'île attise bien des convoitises en raison non seulement de la richesse de son sous-sol, mais aussi de sa position stratégique dans l'océan Arctique. A. R.

Alexis Rosenzweig - Quelle est la personnalité qui vous a le plus influencée dans votre vie et dans votre carrière politique ? Aleqa Hammond - Il y a une femme que j'ai toujours admirée : elle venait du village où j'ai grandi, sur l'île d'Uumannaq dans le nord du Groenland. Elle a été la première femme élue au premier Parlement groenlandais et était connue pour être « le seul vrai homme » de cette assemblée. Elle parlait au nom des gens comme nous, des familles de chasseurs et de pêcheurs originaires des régions isolées du Groenland. Elle s'appelait Elisabeth Johansen et était la mère de notre ancien premier ministre Lars-Emil Johansen. Elle était non seulement un exemple que je voulais suivre, mais aussi une amie proche de ma grand-mère et que je connaissais personnellement. A. R. - Quels sont vos premiers souvenirs d'enfance ? A. H. - Je suis l'aînée de la famille et, chez nous, tous les aînés sont censés être des garçons ! Ma mère a pleuré pendant deux jours tellement elle était déçue que je sois une fille ! J'ai deux frères. Mon prénom, Aleqa, signifie « la grande soeur des frères ». Je suis la seule à porter ce prénom qui est normalement un surnom au Groenland. À ma naissance, on m'avait donné un prénom danois et, à douze ans, j'ai demandé à ma mère de porter uniquement mon nom groenlandais. Elle était d'accord mais j'ai dû faire la demande seule : j'ai écrit une lettre à l'évêque du Groenland, que ma mère a signée. Le jour de mon treizième anniversaire j'ai reçu une réponse de l'évêque qui acceptait que mon seul prénom soit Aleqa à partir de cette date. Très tôt, j'ai pris conscience de mon identité inuit, de ma culture et de ma langue. Mes deux parents sont des Inuits. Ma mère est l'aînée d'une famille de onze enfants. Quand mon père est mort en tombant à travers la banquise alors qu'il chassait, elle s'est retrouvée veuve à l'âge de 27 ans avec trois enfants. Elle a toujours refusé toute aide sociale. Nous étions considérés comme pauvres. Mais ma mère disait : « Nous ne sommes pas pauvres, nous sommes forts. » J'ai retenu la leçon. Quand les gens me demandent où je trouve le courage et l'énergie de faire ce que je fais et qu'aucune femme groenlandaise n'a fait avant moi, je réponds que c'est une attitude naturelle, que je tiens certainement de ma mère. Ne pas se laisser marcher sur les pieds, ne pas avoir peur d'exprimer ses opinions : tels sont les principes qu'elle m'a inculqués. A. R. - Vous étiez destinée à épouser un chasseur mais vous avez finalement quitté votre lieu de naissance. Que s'est-il passé ? A. H. - Effectivement, j'ai été élevée pour devenir l'épouse d'un chasseur. Je sais comment travailler les peaux de phoque, de renne, d'ours polaire, etc. J'ai tout appris de ma grand-mère et de ma mère. Mais là d'où je viens personne n'épouse …