Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le monde vu des coulisses

Alexandre del Valle et Patrick Wajsman - En tant que secrétaire général de l'Élysée puis ministre de l'Intérieur, quel a été le dossier le plus délicat que vous ayez eu à traiter ?

Claude Guéant - Le dossier le plus difficile a sans doute été celui de la gouvernance économique de l'Union européenne. L'enjeu était considérable. Et on le mesure encore aujourd'hui. Pendant plus d'un an, nous avons mené des négociations discrètes avec nos partenaires allemands pour tenter de les convaincre. Au départ, l'Allemagne refusait d'entrer dans cette logique de gouvernance économique européenne. Il est donc assez étrange que, finalement, cette avancée ait été portée à son crédit. Or l'initiative revenait sans conteste à Nicolas Sarkozy. Angela Merkel, cependant, s'est laissé convaincre pour faire avancer l'Europe. Le scénario s'est répété - mais cela a été plus facile - lorsqu'il s'est agi de faire accepter le principe d'une convergence en matière de politique fiscale. Je voudrais, à cet égard, rendre un hommage particulier au ministre allemand des Finances, Wolfgang Schaüble, qui nous a constamment soutenus dans cette démarche.

A. D. V. et P. W. - Comment décririez-vous Mme Merkel ?

C. G. - C'est une personne affable, mais, sous ce visage avenant, elle dissimule des convictions très fortes. Je dirais que c'est un roc !

A. D. V. et P. W. - Revenons au tout début du quinquennat de Nicolas Sarkozy. S'agissant des infirmières bulgares, tout le monde a été surpris par la rapidité avec laquelle l'affaire s'est dénouée. Comment l'expliquez-vous ?

C. G. - En premier lieu, je peux témoigner que la négociation ne fut pas facile. Je me rappelle ma première rencontre avec le colonel Kadhafi. J'avais en face de moi quelqu'un qui affectait un calme imperturbable et affichait de solides certitudes : pour lui, les infirmières étaient coupables ; la justice libyenne avait établi les faits et les avait condamnées. Il fut très difficile de faire valoir le point de vue discordant d'experts incontestables comme celui du professeur Montagné, qui expliquait que la contamination des enfants libyens par le virus du sida ne pouvait en aucun cas avoir comme origine l'action des infirmières bulgares et du médecin palestinien également condamné. Jusqu'au dernier moment, la veille au soir de la libération qui est intervenue le lendemain vers 5 heures du matin, Kadhafi a hésité et fait preuve de mauvais vouloir. En fait, c'est dans la nuit que la décision a été prise. Et c'est son entourage - à commencer par le premier ministre Al-Bagdadi en liaison avec le procureur général - qui a officiellement pris la décision. Deuxièmement, cette affaire avait été préparée : j'avais eu un premier contact avec Moussa Koussa, qui était à l'époque ministre des Affaires étrangères. Je le connaissais du temps où il dirigeait les services de renseignement et que j'occupais moi-même les fonctions de directeur général de la Police nationale. Moussa Koussa était venu me voir, rue Saint-Dominique, dans un immeuble mis à la disposition du nouveau président qui venait tout juste d'être élu. …