Les priorités d'Abdallah II de Jordanie se sont inversées. Il y a six mois, et bien que l'onde de choc du printemps arabe soit arrivée en bout de course dans le royaume, l'agitation politique permanente entretenue par les Frères musulmans menaçait de déstabiliser, à l'usure, le souverain hachémite. Ce danger n'est pas définitivement écarté, mais il est passé au second plan, comme une éventuelle conséquence politique de la crise syrienne, devenue l'enjeu géostratégique dominant du Proche-Orient.
Bien des pays de la région s'inquiètent de la perspective de la chute du président Bachar Al-Assad, qui risque d'entraîner la fragmentation de la Syrie avec l'émergence d'entités politico-militaires plus ou moins liées à l'islam radical. La Jordanie, elle, se situe dans l'oeil du cyclone : elle n'est pas encore directement visée, mais ses 370 kilomètres de frontière commune avec la Syrie la placent en première ligne en cas de débordement régional du conflit.
La montée des périls
Depuis plusieurs mois déjà, la fréquence des obus syriens qui tombent sur son territoire s'est accélérée, sans que l'on puisse les attribuer avec certitude à l'armée ou aux groupes rebelles. Soucieux de ne pas se laisser entraîner dans la guerre, Amman, qui ne cesse de prôner une solution politique pourtant de plus en plus improbable, n'adresse aucune protestation officielle à Damas. Le président syrien ayant proféré des menaces très explicites contre la Jordanie, Abdallah II s'efforce de ne pas offrir de prétexte risquant de faire monter la tension avec son belliqueux voisin du Nord.
À cet égard, l'attentat qui s'est produit mi-mai à Reyhanli, à la frontière turco-syrienne - une ville qui, comme Mafraq, en Jordanie, est véritablement submergée par les réfugiés syriens -, a pu être interprété comme un avertissement. Le royaume hachémite a renforcé son dispositif militaire à ses frontières, avec une division de 20 000 hommes prête à toute éventualité. Il se garde cependant d'adopter une position dite de « défense active ».
La Jordanie dispose de services de renseignement et d'une armée réputés pour leur efficacité. Mais la seconde, tout en étant capable de résister à un premier choc violent, n'est pas équipée pour soutenir un effort soutenu dans la durée. Le roi ne cache pas qu'il considère son alliance diplomatique et sa coopération militaire avec les États-Unis comme la police d'assurance de son royaume. C'est une carte délicate à jouer, qui a vocation à impressionner la Syrie et l'Irak, mais qui peut se révéler contre-productive sur le plan domestique : les Frères musulmans et, dans une certaine mesure, les Transjordaniens (les Jordaniens de souche, par opposition à ceux d'origine palestinienne) font facilement l'amalgame entre l'Amérique et l'« entité sioniste », autrement dit Israël.
Le Palais n'a donc rien à gagner à afficher une trop grande proximité avec Washington, surtout s'il est avéré que cette étroite coopération n'a d'autre objet que de contrer militairement une contagion islamiste. Si le roi Abdallah II s'y est malgré tout résolu ces derniers mois, c'est à la suite d'un constat pragmatique : le scénario d'une Jordanie …
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