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PERILS SUR L'INGOUCHIE

L'Ingouchie est une petite république autonome du Caucase du Nord qui possède des frontières communes avec l'Ossétie du Nord et la Tchétchénie (toutes trois font partie de la Fédération de Russie), ainsi qu'avec la Géorgie. La population, majoritairement ingouche (une ethnie caucasienne proche des Tchétchènes), s'élève à quelque 500 000 personnes. Pendant une grande partie de la période soviétique (1936-1944, puis 1957-1991), l'Ingouchie et la Tchétchénie ont formé une seule république autonome : la République tchétchéno-ingouche. Entre 1944 et 1956, les Tchétchènes et les Ingouches, de même que plusieurs autres peuples de l'URSS, ont vécu en déportation, au Kazakhstan, accusés de « collaboration » avec les nazis. En 1991, suite à la proclamation unilatérale de son indépendance par la Tchétchénie, l'Ingouchie a formé une entité autonome au sein de la Fédération de Russie. Alors que la Tchétchénie est « pacifiée » grâce à la poigne de fer de son chef, Ramzan Kadyrov, c'est l'Ingouchie qui est devenue l'un des foyers d'instabilité dans le Caucase du Nord. En effet, des réseaux de combattants d'inspiration djihadiste - qui n'ont plus de visées étroitement nationalistes (comme ce fut à l'origine le cas des indépendantistes tchétchènes) mais prônent l'instauration de la charia et aspirent à « libérer du joug russe tous les peuples musulmans du Caucase » - agissent activement dans plusieurs républiques caucasiennes et, en particulier, au Daghestan, en Kabardino-Balkarie et en Ingouchie. Les chiffres sont éloquents. En 2012, il y a eu au moins 24 attentats terroristes en Ingouchie, y compris des explosions et des attaques visant les forces de l'ordre. 84 personnes ont été tuées et 83 blessées, soit 167 victimes au total, dont 91 policiers, 32 civils et 44 terroristes (ou déclarés comme tels par les autorités). La propagation de l'islam radical et du terrorisme s'explique en grande partie par la corruption, la pauvreté et le chômage - des maux endémiques dans cette zone. Selon l'Organisation internationale du travail, l'Ingouchie connaissait en 2011 le taux de chômage le plus élevé de toute la Russie : 49 % de la population active ! C'est pour résorber le chômage dans le Caucase du Nord que le gouvernement fédéral a décidé d'y développer le tourisme, notamment en construisant un réseau de stations de ski, y compris en Ingouchie. Le paysage politique est particulièrement tendu à cause des prétentions territoriales qu'a récemment exprimées le président de la République de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov. Ce dernier - qui jouit du soutien inconditionnel du Kremlin dans son oeuvre de « pacification » de la Tchétchénie - souhaite recréer la république tchétchéno-ingouche et en prendre le contrôle. L'Ingouchie, elle, se montre résolument opposée à l'égard d'une telle perspective. La situation est explosive : si Moscou, qui doit arbitrer dans les prochains mois, favorise son « pilier » dans le Caucase, à savoir Kadyrov (et, en tout cas, ne l'empêche pas d'essayer de conquérir le territoire contesté), une bonne partie des Ingouches pourraient prendre les armes contre les Tchétchènes et toute la région risquerait de plonger dans un nouveau bain de sang... Et cela, alors que la ville de Sotchi, toute proche, s'apprête à accueillir les Jeux olympiques d'hiver en février 2014. Dans cet entretien exclusif, le président de l'Ingouchie, Iounous-Bek Evkourov, un homme à la forte personnalité, héros militaire de l'armée russe et défenseur inconditionnel de son petit peuple, dévoile sa stratégie face aux énormes défis auxquels sa république est confrontée. Réussira-t-il à diminuer considérablement la menace terroriste ? Saura-t-il être le garant de l'intégrité territoriale ingouche ? Parviendra-t-il à convaincre le Kremlin de le laisser aux commandes à l'issue de son mandat actuel qui s'achève en septembre et d'opposer une fin de non-recevoir aux projets expansionnistes de l'encombrant voisin Kadyrov ? Ces questions sont primordiales : tous les observateurs s'accordent à dire qu'un nouvel embrasement du Caucase du Nord aurait des conséquences désastreuses pour la Fédération de Russie, qui sait bien à quel point la région constitue une poudrière... G. A. et R. M. Galia Ackerman et Rosa Malsagova - Monsieur le Président, vous appartenez à un petit peuple montagnard, les Ingouches. Ce peuple a été accusé de « trahison » et déporté pendant la Seconde Guerre mondiale, comme les Tchétchènes, et n'a pu regagner ses terres natales qu'à partir de 1956. Racontez-nous votre enfance. Qu'est-ce qui a forgé votre caractère ? Iounous-Bek Evkourov - Je suis né en 1963, dans une famille paysanne. Nous étions sept frères et six soeurs. Mon père a travaillé dur pour que nous ayons de quoi manger. On ne pouvait rêver d'autre chose dans ces années-là. G. A. et R. M. - Dans votre jeunesse, vous avez choisi de faire carrière dans l'armée. Qu'est-ce qui a motivé votre choix ? I. E. - Nous n'avions pas de militaires dans notre famille, mais le fondateur de notre lignée était, d'après les anciens, un célèbre chasseur qui protégeait le territoire de mes ancêtres. Cependant, ce n'est pas cette légende qui m'a incité à opter pour le métier des armes. Il se trouve que deux terrains d'exercices militaires avaient été installés à proximité de notre village. Il y avait également, non loin, une antenne d'une école militaire. Dès l'enfance, je me suis retrouvé au contact des soldats. Et j'ai eu envie de devenir comme eux. G. A. et R. M. - Malgré votre appartenance à un peuple « suspect », vous avez fait partie des services de renseignement militaire, ce qui était tout à fait exceptionnel à l'époque soviétique. Comment avez-vous réussi à progresser ainsi ? I. E. - Honnêtement, j'ai toujours été soutenu par mes supérieurs hiérarchiques immédiats. Ils m'ont régulièrement fait monter en grade, tout simplement parce qu'ils voyaient en moi quelqu'un de sérieux et de fiable. Mais je n'ai jamais eu de « piston », je n'ai jamais appartenu à des cercles privilégiés. G. A. et R. M. - Vous étiez communiste ? I. E. - J'ai été et je reste communiste. Je conserve chez moi ma carte du parti de l'époque soviétique. J'ai toujours défendu des idéaux de justice et c'est au nom de ces idéaux que j'ai adhéré au PC. Je sais bien que c'est le régime communiste qui a ordonné la déportation de mon peuple ; mais, selon moi, cette décision dictée par Staline n'avait rien à voir avec l'essence du communisme. G. A. et R. M. - En ce cas, pourquoi êtes-vous aujourd'hui membre de Russie unie - le parti au pouvoir, celui de Vladimir Poutine et de Dmitri Medvedev - et non du parti communiste de Guennadi Ziouganov ? I. E. - Je n'ai rien contre le parti de Ziouganov, mais je ne vois pas de continuité entre ce parti et le PCUS. Aujourd'hui, c'est Russie unie qui incarne l'avant-garde de notre société. G. A. et R. M. - Vous ne vous êtes fait élire président de l'Ingouchie qu'en 2008, alors que votre nom avait déjà été cité à de multiples reprises au cours des années précédentes pour occuper ce poste. Qu'est-ce qui …