Diplômé de l'Académie militaire de West Point, le général McChrystal est l'un des rares officiers à avoir suivi la totalité des entraînements les plus difficiles imposés aux forces spéciales américaines - le même cursus que Rambo. Cet homme de cinquante-neuf ans est toujours un grand sportif qui court plus de vingt kilomètres par jour. Il est dépeint par le journaliste Bob Woodward, du Washington Post, comme l'initiateur de « la plus grande avancée dans les stratégies de guerre depuis la Seconde Guerre mondiale » ; et cela, parce qu'il a su optimiser les nouvelles technologies et adapter les opérations militaires aux défis des guerres de contre-insurrection et de contre-terrorisme menées aussi bien par Al Qaida que par les Talibans. McChrystal, en effet, a introduit une plus grande flexibilité et une rapidité de décision qui permettent aux troupes, dès qu'une base a été capturée, de récolter les informations, de les analyser, de planifier d'autres opérations en cascade en l'espace de quelques minutes et donc de démanteler plus efficacement les réseaux ennemis. Ces nouvelles méthodes ont joué un rôle déterminant dans la déroute infligée à Al Qaida en Irak, en Afghanistan et au Pakistan. Comme tous les grands stratèges, le général McChrystal connaît parfaitement l'oeuvre des théoriciens de l'art de la guerre. L'expérience française en Indochine et en Algérie n'a pas de secret pour lui. Il n'hésite pas à faire lire à ses troupes La Guerre moderne de Roger Trinquier ou à leur organiser des projections de La Bataille d'Alger, le film fiction de Gillo Pontecorvo, sorti en 1966. La carrière militaire du général McChrystal s'arrête brusquement en juin 2010, à la suite de la publication par un journaliste freelance d'un article dans le magazine américain Rolling Stone. Un article dans lequel sont cités des propos tenus pourtant off the record par des collaborateurs du général. L'ennui, c'est que ces confidences se rapportent aux doutes qu'aurait émis en privé McChrystal sur des membres de l'administration Obama : le vice-président, Joe Biden ; le conseiller à la Sécurité nationale, James L. Jones ; l'ambassadeur des États-Unis en Afghanistan et au Pakistan, Karl W. Eikenberry ; et le représentant spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan, Richard Holbrooke. Conséquence : le prestigieux militaire présente le lendemain sa démission au président Obama qui l'accepte tout en lui conservant son grade de général quatre étoiles. En avril 2011, une enquête de l'inspection générale du Pentagone ne relève aucune violation des normes du Département de la Défense et souligne que l'article paru dans Rolling Stone ne reflète pas strictement la réalité des faits. Quelques jours plus tard, les épouses du président et du vice-président, Michelle Obama et Jill Biden, proposent à McChrystal de participer à un programme de la Maison-Blanche visant à venir en aide aux vétérans et à leur famille. Dans la foulée, Stanley McChrystal est nommé senior fellow à l'Université de Yale où il donne des cours, très prisés, sur le leadership. Il a aussi cofondé un groupe de conseil en leadership, le McChrystal Group. C'est à l'occasion de la récente publication de ses Mémoires en anglais (My Share of the Task) que Stanley McChrystal a accordé ce long entretien exclusif à Politique Internationale.
B. A.
Brigitte Adès - Général, en tant que commandant des forces spéciales en Irak entre 2003 et 2008, vous êtes considéré par Foreign Affairs comme le principal artisan du « développement d'une nouvelle machine de guerre d'une précision inégalée dans l'histoire moderne qui a permis d'assurer la victoire contre le terrorisme ». Pouvez-vous nous dire comment est née cette nouvelle machine de guerre ?
Stanley McChrystal - Après mars 2003, dans le contexte de la guerre en Irak, la zone d'influence d'Al Qaida s'est considérablement étendue. Nous nous sommes tout à coup trouvés face à un réseau ennemi contre lequel nous ne pouvions plus nous contenter de réagir. Il fallait que nous le démantelions. En moins de deux ans, nous avons réussi à monter notre propre réseau. Un réseau dont les agents étaient remarquablement répartis (1). Nous avons aussi raccourci et décentralisé considérablement les modes de décision ; et nous avons cessé d'attendre l'aval du Pentagone et de la CIA pour agir. Le temps était précieux et les cibles extrêmement mobiles. Nous lancions un raid. Puis nous faisions circuler très rapidement les renseignements que nous récoltions sur le terrain afin qu'un autre raid puisse être déclenché avant que les nouvelles cibles identifiées ne se déplacent (2). En tant que chef des opérations, vous ne pouvez pas coordonner dix raids dans la nuit mais vous devez être au courant de tout. Vous devez déléguer afin de permettre à vos subordonnés d'opérer très rapidement. Il faut ensuite intégrer toutes les données. En effet, ce n'est pas en capturant et en tuant des gens qu'on gagne une guerre. L'essentiel est de tout synthétiser et de tout synchroniser au niveau plus vaste du théâtre d'opérations. Or cela n'a pu se faire efficacement avant 2006-2007. Nous avons donc, malgré tout, perdu pas mal de temps.
B. A. - Dix-huit mois après le retrait des troupes américaines, quelles leçons peut-on tirer de la guerre en Irak ?
S. M. - Si je devais ne retenir qu'un enseignement de cette guerre, ce serait certainement la nécessité d'associer plus étroitement les populations locales à nos actions. Nous aurions dû, dès le début des opérations, nous entourer de conseils afin de mieux tenir compte de leur sensibilité et d'anticiper leur perception des choses. Cette précaution nous aurait évité bien des erreurs tactiques. B. A. - Mais plus précisément... S. M. - Nos méthodes de contre-terrorisme, aussi efficaces soient-elles, ne suffisent pas. Le danger, voyez-vous, c'est de se contenter de réagir à la menace et de renoncer à comprendre pourquoi certains individus deviennent des terroristes. Or il est nécessaire de prendre le problème à la racine.
B. A. - Faites-vous allusion à l'attrait exercé par Al Qaida sur les sunnites dès le début de la guerre en Irak ?
S. M. - Les Américains ont été incapables, dans les premiers mois, d'assurer la sécurité du pays : et c'est aussi pour cela que les sunnites se sont détournés d'eux. Bien entendu, le démantèlement de l'armée et de toute la hiérarchie baasiste …
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