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COREE DU SUD : UNE FEMME AUX COMMANDES

Entretien avec Park Geun-Hye, Présidente de la Corée du Sud depuis février 2013. par Pascal Dayez-Burgeon, spécialiste des deux Corées, dirige actuellement le bureau du CNRS à Bruxelles.

n° 140 - Été 2013

Park Geun-Hye Pascal Dayez-Burgeon - Madame la Présidente, à qui est allée votre première pensée lorsque vous avez pris vos nouvelles fonctions à la Maison Bleue, que vous aviez quittée trente-quatre ans auparavant ? On se souvient, en effet, que votre père Park Chung-hee fut lui-même président de 1961 à 1979 et que vous avez joué un rôle important auprès de lui - surtout après la disparition prématurée de votre mère en 1974... Park Geun-hye - J'ai été submergée par une très profonde émotion mais aussi par le poids des responsabilités. Lorsque la Corée a pris le tournant de l'industrialisation - une période au cours de laquelle les Coréens ont travaillé dur -, j'ai dû remplir le rôle de première dame (1). Plus tard, quand la démocratie coréenne s'est véritablement installée, j'étais à la tête du premier parti d'opposition (2). J'ai réfléchi aux raisons pour lesquelles les Coréens m'ont choisie pour être leur présidente. Ma mission est de contribuer à cicatriser les plaies de notre histoire récente et de faire de la Corée un pays où les citoyens puissent éprouver un bonheur à la hauteur des efforts consentis. Des citoyens pleinement heureux à nouveau, où qu'ils soient et quelle que soit la profession qu'ils exercent. Je fais tout mon possible pour y parvenir. P. D.-B. - Depuis le 25 février 2013, vous êtes devenue la première femme chef d'État de l'Asie du Nord-Est. Estimez-vous que le fait d'être une femme a joué en votre faveur ? P. G. - En 2007 (3), le fait d'être une femme était un handicap majeur. Ce n'était plus le cas en 2012. Le sexe n'a pas été un critère de choix pour les Coréens. Leurs voix se sont portées sur le candidat le plus digne de confiance à leurs yeux et sur ses propositions pour construire un nouveau pays totalement engagé dans le XXIe siècle. P. D.-B. - De quelle personnalité politique étrangère vous sentez-vous proche, intellectuellement et personnellement ? P. G. - Je pense à une personnalité en particulier, une femme avec laquelle j'ai eu l'occasion de renforcer une réelle confiance. Il s'agit de la chancelière allemande, madame Angela Merkel. Nous avons, l'une et l'autre, une formation d'ingénieur. J'ai fait sa connaissance en 2000 lors d'un voyage en Allemagne. Depuis, nous nous sommes rencontrées à plusieurs reprises au cours de mes déplacements en Allemagne ou lors des visites de la chancelière en Corée et nous continuons à entretenir d'excellentes relations de proximité. J'ai aussi de très bonnes relations avec le président chinois, Xi Jinping, que j'ai rencontré en 2005. Je me suis entretenue récemment avec le président Barack Obama et je me suis sentie en confiance avec lui. P. D.-B. - Depuis le mois de mars, votre pays a été vivement pris à partie par la Corée du Nord. Comment interprétez-vous cette agressivité ? P. G. - La Corée du Nord poursuit ses provocations, notamment à travers ses essais nucléaires - ce qui, à l'évidence, renforce la tension dans la péninsule coréenne. C'est un véritable cercle vicieux qui s'est mis en place : aux provocations succèdent des compromis dont Pyongyang tire divers avantages. J'entends sortir de cette logique. Il faut que la Corée du Nord comprenne qu'elle doit rendre des comptes chaque fois qu'elle se comporte de manière agressive. Mais, inversement, lorsqu'elle s'engage sur la bonne voie et adopte une attitude responsable en tant que membre de la communauté internationale, elle doit en être récompensée. Il est essentiel que la communauté internationale présente, sur cette question, un front uni et cohérent afin d'aider Pyongyang à faire le bon choix. Je tiens à construire, en étroite coopération avec la communauté internationale, un environnement qui permette à la Corée du Nord d'évoluer. En m'appuyant sur cette évolution, je veux rétablir la confiance entre les deux Corées et jeter les bases d'une prospérité partagée. C'est ce que j'appelle le « Processus d'instauration de la confiance sur la péninsule coréenne ». J'attends des pays européens un soutien actif pour que la Corée du Nord s'engage dans la voie du changement. P. D.-B. - Diriez-vous que la zone économique spéciale de Gaeseong (4) est un échec ? P. G. - Tout dépend de ce que décidera Pyongyang. Si cette zone périclitait, un tel échec aurait des répercussions non seulement sur la Corée du Sud mais aussi sur le reste du monde, car plus aucun pays, aucune entreprise ne pourrait faire confiance à la Corée du Nord et y investir. Cela dit, c'est la Corée du Nord qui a pris l'initiative d'interrompre les activités du parc et c'est à elle, désormais, de résoudre le problème. Je ne veux pas d'un nouveau compromis décidé à la hâte sous prétexte que le régime nord-coréen se permet de dénoncer unilatéralement un accord. Même si cela doit prendre du temps, je souhaite que ce différend soit réglé dans le respect des lois et des principes internationaux. À long terme, tout le monde sera gagnant, y compris la Corée du Nord. Si Pyongyang change d'attitude, je m'efforcerai de développer le site de Gaeseong et d'en faire une zone réellement internationale, stable et sécurisée. C'est la seule manière de poser ensuite les bases d'une prospérité commune. P. D.-B. - Contrairement aux autres États membres de l'Union européenne, la France n'a pas souhaité établir de relations diplomatiques avec Pyongyang. Estimez-vous qu'elle a eu raison ? P. G. - Avant de nouer des relations diplomatiques, la France pose à la Corée du Nord un certain nombre de conditions : la résolution de la question nucléaire ; l'avancement du dialogue entre les deux Corées ; l'amélioration de la situation des droits de l'homme ; et la possibilité pour les ONG d'opérer librement dans le pays. C'est là une attitude constructive qui devrait pousser Pyongyang dans la voie de la réforme, de l'ouverture et de l'amélioration de la situation des droits de l'homme. J'ajoute que la position française concorde avec la nôtre et constitue un soutien important pour notre gouvernement. D'ailleurs, en ouvrant à Pyongyang, en 2011, un Bureau de coopération, …