Entretien avec
Ivo Josipovic, Président de la Croatie depuis janvier 2010
par
Jean-Arnault Dérens, Rédacteur en chef du Courrier des Balkans
et
Laurent Geslin, journaliste et géographe, spécialiste de l'Europe orientale et des Balkans.
n° 140 - Été 2013
Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin - Monsieur le Président, la Croatie a rejoint l'Union européenne le 1er juillet 2013. Pourtant, lors des premières élections européennes organisées le 14 avril dernier, la participation n'a pas dépassé 20 % des inscrits. L'Europe aurait-elle donc cessé de faire rêver les Croates ? Ivo Josipovic - Pas du tout ! Lors du référendum de janvier 2012, 66 % des électeurs ont voté en faveur de l'adhésion. Et chaque élection locale montre l'attachement des partis politiques et des citoyens au processus d'intégration. Mais il est vrai que la situation économique est difficile, ce qui entraîne certaines déceptions. Vous parliez de l'élection au Parlement européen : je tiens à souligner que la Croatie n'est pas le pays qui a connu la plus faible participation pour ce type de consultation. Bien sûr, nous espérons qu'elle sera plus importante lors des prochains scrutins... J.-A. D. et L. G. - La Croatie fait désormais partie d'une Union européenne en crise. Qu'attendez-vous de cette adhésion ? I. J. - L'Union européenne constitue une réponse à la mondialisation de l'économie. Il serait illusoire de penser qu'un petit État comme la Croatie puisse réussir dans cette compétition mondiale sans être intégré au sein du marché européen. L'intégration européenne est une condition sine qua non du développement de la Croatie ; c'est le gage de sa future prospérité. J.-A. D. et L. G. - La Grèce, l'Italie, le Portugal et l'Espagne traversent une passe économique et sociale très difficile. La Croatie ne va-t-elle pas grossir les rangs d'une « Europe du Sud » particulièrement exposée à la crise ? I. J. - L'économie croate ne compte pas parmi les plus puissantes de l'Union européenne, nous en sommes conscients. Cependant, à y regarder de près, plutôt que d'une crise de l'Union ne s'agit-il pas d'une crise de l'économie de chacun des États membres ? La situation serait bien pire si l'Union européenne n'existait pas. Dans quel état la Grèce serait-elle aujourd'hui si l'UE ne lui avait pas apporté son aide ? J.-A. D. et L. G. - La Croatie a-t-elle vocation à rejoindre la zone euro ? I. J. - Tout à fait. Dès que nous serons en mesure de remplir les conditions nécessaires, nous le ferons. Selon les avis des experts, nous pourrions être prêts d'ici trois à cinq ans. J.-A. D. et L. G. - En rejoignant l'Union européenne, vous quittez de facto la zone de libre-échange d'Europe centrale (CEFTA) (1). La Croatie ne va-t-elle pas y perdre ? I. J. - Dans un premier temps, c'est certain. Mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Toute chose a son prix. En négociant avec l'Union et nos voisins, nous allons essayer d'adoucir les conséquences de notre retrait du CEFTA, pour nous et pour nos partenaires. Nous devons réfléchir à préserver nos intérêts communs. À terme, l'adhésion de la Croatie permettra cependant de rapprocher de l'Union nos voisins d'Europe du Sud-Est et d'alléger les barrières douanières. J.-A. D. et L. G. - Selon certaines estimations, 500 000 Croates de Bosnie-Herzégovine posséderaient un passeport croate. Ne craignez-vous pas un afflux massif de ces populations ? I. J. - Je ne m'attends à aucun événement dramatique. On prétend que ces 500 000 Croates de Bosnie-Herzégovine ont l'intention de venir s'installer en Croatie, mais rien ne le prouve ! D'ailleurs, ils ne sont pas tous d'origine croate. Parmi eux, il y a aussi des Bosniaques et des Serbes, qui disposent de cette citoyenneté en raison des relations historiques qui unissent nos pays (2). Aucune muraille de Chine ne sera érigée entre la Croatie et ses voisins. Nous devons imaginer les solutions les plus flexibles possibles. J.-A. D. et L. G. - De quelle manière la Croatie pourra-t-elle aider la Bosnie-Herzégovine sur la voie de l'intégration européenne ? I. J. - Nous aiderons la Bosnie-Herzégovine de la même façon que nos amis de l'Union européenne nous ont aidés : en apportant un soutien politique, en offrant une expertise et une assistance techniques. C'est ce que nous avons nous-mêmes reçu de la part de la Hongrie, de la Slovénie et de l'Autriche. Notre expérience sera certainement très utile aux autres pays de la région qui connaissent des problèmes semblables aux nôtres. J.-A. D. et L. G. - Depuis 1995, la Bosnie-Herzégovine est en crise politique permanente. Au sein même de la communauté croate, il existe de fortes divisions politiques. La Croatie a-t-elle un rôle à jouer dans ce contexte compliqué ? I. J. - La Bosnie-Herzégovine est un État souverain, mais qui compte trois peuples constitutifs : les Bosniaques, les Serbes et les Croates. Les représentants de ces trois communautés ont des visions différentes de ce que devrait être le fonctionnement idéal de l'État bosno-herzégovinien. Ce dernier doit être capable de garantir une véritable égalité à toutes les communautés et à tous les citoyens. Nous voulons essayer de jouer un rôle positif en favorisant la recherche d'un compromis, d'un accord global. En effet, la stabilisation de la Bosnie-Herzégovine constitue un enjeu stratégique fondamental, non seulement pour la Bosnie elle-même mais pour toute l'Union européenne. À l'évidence, ce ne sera pas facile, car de nombreux malentendus persistent sur l'avenir du pays. Il faut aussi tenir compte de certaines incompréhensions de la part de la communauté internationale, liées aux circonstances historiques de l'éclatement de la Yougoslavie. Le rapprochement peut surprendre, mais le modèle politique de la Bosnie-Herzégovine ressemble beaucoup plus à celui de la Belgique qu'à celui de la France ! J.-A. D. et L. G. - Est-il envisageable que la Croatie retire la plainte qu'elle a déposée contre la Serbie devant la Cour internationale de justice (CIJ) (3) ? I. J. - La Croatie a porté plainte pour génocide devant la CIJ en 1999, au moment où ses relations avec Belgrade étaient très mauvaises. À l'époque, la Serbie se désintéressait totalement de la recherche des personnes disparues, refusait de coopérer avec le Tribunal pénal international de La Haye (TPIY) et n'essayait même pas de juger …
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