Les Grands de ce monde s'expriment dans

PERILS SUR L'INGOUCHIE

Entretien avec Iounous-Bek Evkourov, Président de la République d'Ingouchie (Russie) depuis 2008. par Galia Ackerman, journaliste, spécialiste de la Russie et du monde post-soviétique et Rosa Malsagova, Journaliste indépendante, spécialiste du Caucase du Nord

n° 140 - Été 2013

Iounous-Bek Evkourov Galia Ackerman et Rosa Malsagova - Monsieur le Président, vous appartenez à un petit peuple montagnard, les Ingouches. Ce peuple a été accusé de « trahison » et déporté pendant la Seconde Guerre mondiale, comme les Tchétchènes, et n'a pu regagner ses terres natales qu'à partir de 1956. Racontez-nous votre enfance. Qu'est-ce qui a forgé votre caractère ? Iounous-Bek Evkourov - Je suis né en 1963, dans une famille paysanne. Nous étions sept frères et six soeurs. Mon père a travaillé dur pour que nous ayons de quoi manger. On ne pouvait rêver d'autre chose dans ces années-là. G. A. et R. M. - Dans votre jeunesse, vous avez choisi de faire carrière dans l'armée. Qu'est-ce qui a motivé votre choix ? I. E. - Nous n'avions pas de militaires dans notre famille, mais le fondateur de notre lignée était, d'après les anciens, un célèbre chasseur qui protégeait le territoire de mes ancêtres. Cependant, ce n'est pas cette légende qui m'a incité à opter pour le métier des armes. Il se trouve que deux terrains d'exercices militaires avaient été installés à proximité de notre village. Il y avait également, non loin, une antenne d'une école militaire. Dès l'enfance, je me suis retrouvé au contact des soldats. Et j'ai eu envie de devenir comme eux. G. A. et R. M. - Malgré votre appartenance à un peuple « suspect », vous avez fait partie des services de renseignement militaire, ce qui était tout à fait exceptionnel à l'époque soviétique. Comment avez-vous réussi à progresser ainsi ? I. E. - Honnêtement, j'ai toujours été soutenu par mes supérieurs hiérarchiques immédiats. Ils m'ont régulièrement fait monter en grade, tout simplement parce qu'ils voyaient en moi quelqu'un de sérieux et de fiable. Mais je n'ai jamais eu de « piston », je n'ai jamais appartenu à des cercles privilégiés. G. A. et R. M. - Vous étiez communiste ? I. E. - J'ai été et je reste communiste. Je conserve chez moi ma carte du parti de l'époque soviétique. J'ai toujours défendu des idéaux de justice et c'est au nom de ces idéaux que j'ai adhéré au PC. Je sais bien que c'est le régime communiste qui a ordonné la déportation de mon peuple ; mais, selon moi, cette décision dictée par Staline n'avait rien à voir avec l'essence du communisme. G. A. et R. M. - En ce cas, pourquoi êtes-vous aujourd'hui membre de Russie unie - le parti au pouvoir, celui de Vladimir Poutine et de Dmitri Medvedev - et non du parti communiste de Guennadi Ziouganov ? I. E. - Je n'ai rien contre le parti de Ziouganov, mais je ne vois pas de continuité entre ce parti et le PCUS. Aujourd'hui, c'est Russie unie qui incarne l'avant-garde de notre société. G. A. et R. M. - Vous ne vous êtes fait élire président de l'Ingouchie qu'en 2008, alors que votre nom avait déjà été cité à de multiples reprises au cours des années précédentes pour occuper ce poste. Qu'est-ce qui a décidé le haut gradé que vous étiez à abandonner l'armée pour se lancer en politique ? I. E. - C'est une question compliquée. Je n'avais aucune aspiration présidentielle, mais je suis un militaire qui obéit aux ordres. Ceux qui m'ont invité au Kremlin pour me proposer ce poste ne m'ont pas choisi par hasard (1). Au cours d'une longue conversation, on m'a persuadé d'accepter cette lourde responsabilité. Et je crois que j'ai obtenu de bons résultats ! G. A. et R. M. - Être le président de l'Ingouchie n'est pas de tout repos, c'est un euphémisme. Vous avez failli perdre la vie dans un attentat, en juin 2009 (2)... I. E. - Lorsque j'ai repris connaissance après l'attentat, le premier ministre de l'époque, Vladimir Poutine, m'a dit : « Iounous-Bek, ne donne pas à l'ennemi une raison de se réjouir. » Il voulait dire par là que je devais me battre pour ma survie, car l'ennemi serait trop heureux de m'avoir éliminé ! Je me suis battu et j'ai pu reprendre mes fonctions après une longue convalescence (3). Malheureusement, il n'est pas bien compliqué d'organiser un attentat. Depuis, j'ai significativement renforcé mes services de sécurité. Mais ces précautions ne m'empêchent pas de me déplacer partout dans la république. Il n'y a pas un coin perdu que je n'aie visité au moins cinq fois. Je me suis habitué à vivre en alerte perpétuelle, sous le son des sirènes et les lumières des gyrophares... G. A. et R. M. - Vous êtes à la tête de l'Ingouchie depuis quatre ans et demi. Qu'avez-vous réussi à accomplir ? I. E. - Beaucoup de choses. Nous avons fait baisser la criminalité, surtout celle d'origine terroriste, et nous avons rendu la vie plus stable. Nous sommes en train de développer l'industrie agroalimentaire. Nous avons un programme fédéral visant à relancer plusieurs usines soviétiques, à l'arrêt depuis des années. Enfin, nous construisons des logements sociaux. Mais le chômage reste notre gros souci. Cependant, j'attire votre attention sur le fait que l'Ingouchie dépasse plusieurs sujets de la Fédération de Russie en termes de PIB par habitant ou en pourcentage d'impôts collectés. Grâce à ces impôts, nous pouvons investir dans la création d'emplois. Voyez vous-même : en quatre ans, nous avons dépensé, pour nos différents programmes, près de 1 milliard de roubles (soit quelque 25 millions d'euros) provenant du budget de l'État et plus de 1,2 milliard (environ 30 millions d'euros) issus de notre budget républicain. G. A. et R. M. - Quel est le niveau du chômage ? I. E. - De ce point de vue, nous ne pouvons pas pavoiser. Actuellement, le chômage touche près de 40 % de nos actifs. Mais nous espérons réduire considérablement ce chiffre au cours de cette année. G. A. et R. M. - Grâce aux mesures que vous venez d'énumérer ? I. E. - Je peux vous donner plus de détails. En 2012, nous avons construit des écoles qui accueillent 3 500 enfants et des maternelles pour 1 000 …