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ROUMANIE : SORTIR DU POST-COMMUNISME

Entretien avec Traian Basescu, président de la Roumanie depuis décembre 2004, ancien maire de Bucarest (2000-2004) par Marc Semo, Journaliste au quotidien "Libération".

n° 140 - Été 2013

Marc Semo - La crise au sommet de l'État qui a secoué la Roumanie il y a un an est-elle définitivement terminée ? Victor Ponta - Elle est terminée et bien terminée. Les résultats des élections législatives de décembre ont été très nettement favorables au gouvernement et à la coalition qui le soutient. La participation électorale a été légèrement plus forte qu'en 2008. Elle a dépassé les 50 % - un chiffre qui représente malheureusement le taux moyen des votants dans notre pays. Avec le président Traian Basescu, nous avons établi des règles claires pour notre cohabitation. Avant le scrutin, il clamait qu'il n'accepterait jamais que je sois à nouveau premier ministre ; même après le vote, malgré notre victoire, il a attendu avant de me nommer. Puis il a dû se plier à la réalité. Le président Basescu et moi-même ne serons jamais des amis politiques mais nous avons accepté la nécessité d'un modus vivendi jusqu'à l'élection présidentielle de décembre 2014 où il ne pourra pas se porter candidat puisqu'il a déjà effectué deux mandats. Le terme de la cohabitation est donc déjà fixé. Moi-même, je ne serai pas candidat. Je souhaite seulement effectuer mon mandat de premier ministre jusqu'à son terme, en 2016. Les défis auxquels nous devons faire face dans cette période de crise, en Roumanie comme dans le reste de l'Europe, sont très importants. Je veux pouvoir me consacrer totalement à l'action du gouvernement et mettre en oeuvre les politiques dont le pays a besoin. M. S. - Il n'est sans doute pas facile de cohabiter avec un président que vous avez traité de « lâche » et de « raté » et qui vous a lancé des noms d'oiseaux similaires... V. P. - Effectivement, cette décision n'a pas été simple à prendre et je ne vous cache pas que la cohabitation n'est pas facile tous les jours. Mais la poursuite de la crise politique aurait eu un coût beaucoup trop élevé, en particulier pour l'image de notre pays en Europe. Je suis le plus jeune et c'était à moi de faire le premier pas. La grande majorité des Roumains - aussi bien les sympathisants du centre gauche que ceux du centre droit - sont satisfaits. Les partisans les plus engagés de Traian Basescu comme de notre coalition ont du mal à se résoudre à ce compromis mais c'était le choix de la raison. M. S. - Pouvez-vous résumer les raisons de cette « guerre politique » qui avait beaucoup inquiété les institutions européennes (3) ? V. P. - Traian Basescu, qui avait été élu président en 2004 puis réélu en 2009, devenait de plus en plus impopulaire. Sa légitimité politique s'en trouvait de plus en plus contestée dans le pays. Ce qui ne l'a pas empêché d'étendre son pouvoir sans cesse davantage. Toutes les institutions étaient désormais entre ses mains. Il avait nommé la majorité des juges de la Cour constitutionnelle, choisi les procureurs, désigné les responsables des services secrets. Il contrôlait le gouvernement et détenait la majorité au Parlement... En avril 2012, certains de ses députés, inquiets de sa dérive, ont rejoint l'opposition, ce qui l'a contraint à me nommer premier ministre. Nous avons alors remplacé un certain nombre de hauts fonctionnaires (4). Nous ne voulions pas nous emparer à notre tour de tous les leviers mais seulement rééquilibrer les pouvoirs et établir des règles claires fixant les attributions du chef de l'État, du premier ministre et du Parlement. M. S. - Ce rééquilibrage vous a valu d'être comparé par certains de vos adversaires à Viktor Orban, le chef de l'État hongrois, souvent accusé de vouloir exercer un contrôle absolu sur son pays (5)... V. P. - Ces accusations sont totalement absurdes. Notre gouvernement n'a jamais tenté de limiter l'indépendance de la Banque centrale ou d'adopter des lois contre la presse comme on l'a vu en Hongrie. Tout ce que j'ai en commun avec monsieur Orban, c'est le prénom ! En revanche, le président Basescu et lui appartiennent à la même famille politique européenne - le PPE - et sont des amis proches. Surtout, ils partagent une même vision : pour eux, un pays ne peut être bien dirigé que par un leader fort qui concentre le plus grand nombre possible de compétences entre ses mains. Un modèle à l'américaine, mais dénué du système d'équilibre des pouvoirs en vigueur dans cette grande démocratie... M. S. - Quelles leçons avez-vous tirées de cette crise ? V. P. - Je suis encore relativement jeune en politique et j'ai donc beaucoup appris. Une guerre politique doit être bien préparée et bien comprise par l'opinion. Nous avons utilisé les moyens constitutionnels à notre disposition mais nous l'avons fait dans l'urgence, sous la pression des événements, sans avoir le temps d'expliquer correctement à nos concitoyens comme à nos partenaires ce que nous faisions et pourquoi nous le faisions. Surtout, j'ai compris que la guerre politique totale - et il s'agissait vraiment d'une guerre politique totale - est quelque chose d'inacceptable dans l'Europe actuelle, où l'action politique se fonde sur le sens du compromis et sur le respect de l'adversaire. De telles empoignades politiciennes internes peuvent être dévastatrices pour la crédibilité de notre pays. Être membre de la famille européenne ne confère pas uniquement des droits mais, aussi, des obligations. M. S. - Malgré l'âpre querelle de l'été 2012, la Roumanie semble aujourd'hui politiquement et économiquement en meilleure posture que nombre de ses voisins. Partagez-vous ce jugement ? V. P. - Oui, tout à fait. Nous bénéficions désormais d'une stabilité politique qui n'existe malheureusement pas chez tous nos voisins. La Bulgarie traverse une crise politique (6). La Moldavie et l'Ukraine sont également en difficulté (7). Nous sommes l'un des très rares pays de l'Union dont l'économie est toujours en croissance : au premier trimestre 2013, nous avons enregistré un PIB supérieur de 2,1 % par rapport à la même période de l'année précédente. En outre, pour la première fois depuis 2007, notre déficit budgétaire est repassé sous la barre des …