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« La marca España »

Entretien avec José Manuel Garcia-Margallo, ministre espagnol des Affaires étrangères et de la Coopération, par Michel Faure, Grand reporter à L'Express

n° 141 - Automne 2013

José Manuel Garcia-Margallo

Michel Faure - Que peut faire un ministre des Affaires étrangères pour redresser l'économie de son pays ?
José Manuel García-Margallo - Le gouvernement espagnol veut retrouver le chemin de la croissance. Notre tâche, aux affaires étrangères, c'est de reconquérir la confiance : celle des institutions internationales, comme le Fonds monétaire international ou l'Union européenne ; et surtout celle des marchés. Si les marchés et l'Europe ont confiance en nous, alors nous sortirons de cette crise. Mais comme tout porte à croire que notre demande intérieure demeurera assez faible au cours des prochaines années, il nous faut trouver de nouveaux débouchés hors de nos frontières. Nous devons aussi attirer vers l'Espagne des investissements étrangers.
M. F. - Comment procéder ?
J. M. G.-M. - En montrant à nos partenaires que l'Espagne n'est pas seulement un lieu agréable pour y passer des vacances, mais aussi un pays qui peut offrir une forte valeur ajoutée aux investissements qu'il reçoit. Nous maîtrisons un grand nombre de secteurs de pointe : les trains à grande vitesse, les métros, les installations portuaires, l'énergie... Nous sommes présents sur les plus grands chantiers internationaux. C'est une entreprise espagnole, par exemple, le groupe TYPSA, qui participe à la construction de la troisième plus puissante centrale hydroélectrique du monde, celle de Belo Monte au Brésil. C'est ce même groupe qui a conçu, au Mexique, la plus grande usine de traitement des eaux jamais mise en service. Une autre entreprise espagnole, INYPSA, a conduit les travaux d'ingénierie pour la plus grande usine de désalinisation d'eau de mer d'Europe, à Valdelentisco, dans la province de Murcie. En Équateur, nous travaillons pour l'un des plus importants programmes d'investissements actuels en matière d'infrastructures, avec le chantier des accès au nouvel aéroport de Quito, qui est supervisé par l'entreprise espagnole AECOM-INOCSA. Le pilotage et le contrôle du plus long tunnel indien, celui de Patnitop, dans le Cachemire, ont été confiés à l'entreprise espagnole Euroestudios. Cette même société apporte son expertise technique à la Banque européenne d'investissements, la BEI, pour le premier projet de train à grande vitesse de Turquie, qui reliera Istanbul à Ankara. Nous avons remporté le contrat pour l'élargissement du canal de Panama - un chantier colossal mené par un consortium que dirige l'entreprise espagnole SACYR. Nous avons aussi été choisis pour réaliser le métro de Riyad - un contrat de 6 milliards de dollars. Je m'arrête là, mais je pourrais continuer.
M. F. - Vous êtes un grand défenseur de ce que vous appelez la « marca España », la « marque Espagne ». Or, malgré les performances de certains grands groupes, l'image de votre pays semble durablement ternie par la crise...
J. M. G.-M. - Vous vous trompez, la perception de l'Espagne a radicalement changé. Il y a un an, tout le monde se demandait si nous n'allions pas devoir abandonner l'euro. Les gens, chez nous, s'imaginaient que leur pays allait suivre la voie du Portugal et de l'Irlande. Aujourd'hui, c'est une question qui ne se pose plus. Je le dis à tous mes interlocuteurs : nous sommes en train de sortir de la crise ; ce n'est pas facile, mais nous y parvenons.
M. F. - Quel est votre secret ?
J. M. G.-M. - Nous avons opéré un changement révolutionnaire par rapport au modèle économique de nos prédécesseurs socialistes. Ce modèle présentait trois particularités : un endettement massif, une trop grande dépendance à l'égard de l'immobilier et un déclin de la productivité. Les conséquences ont été brutales : une hausse des coûts du travail, une chute rapide du PIB, une dégradation de l'emploi plus rapide encore, un déséquilibre prononcé de notre balance des paiements et un déficit des comptes publics qui s'est aggravé chaque année, fragilisant encore plus notre système financier. Pour sortir de ce cycle, nous avons ciblé les marchés extérieurs. Aujourd'hui, nous avons complètement restauré notre compétitivité. Pour la première fois, nous ne sommes plus débiteurs, mais créditeurs, grâce à la hausse de nos exportations et, bien sûr, à la baisse de nos importations. Enfin, nous avons redressé nos finances grâce à une restructuration budgétaire. Sur le terrain des réformes structurelles, nous nous sommes attaqués à de gros morceaux : le marché du travail, les investissements, l'éducation. C'est bien simple, nous sommes en train de tout réformer ! Vous savez, ma première expérience politique remonte au gouvernement d'Adolfo Suarez, au moment de la transition vers la démocratie. Les temps étaient durs. Suarez disait souvent : « Il faut en même temps distribuer de l'eau et changer les tuyaux. » Eh bien, c'est un peu ce que nous faisons en ce moment.
M. F. - Plusieurs affaires de corruption ont récemment éclaboussé la classe politique espagnole, tant au niveau local que national. La plus retentissante est l'affaire Barcenas, du nom de cet ancien trésorier du Parti populaire qui avait institué à son profit une double comptabilité (1). Ce genre de dérapage ne porte-t-il pas gravement atteinte à la « marque Espagne » ?
J. M. G.-M. - Il est évident que l'affaire Barcenas n'a guère contribué à rehausser la réputation de notre pays, mais il ne faut pas exagérer : malgré cette histoire fâcheuse, nous continuons à attirer des investissements et à décrocher des contrats. L'image de l'économie espagnole n'a pas souffert.
M. F. - Que répondez-vous à vos collègues européens, par exemple, lorsqu'ils vous parlent de ces affaires ?
J. M. G.-M. - Nous n'en parlons pas.
M. F. - Vraiment ?
J. M. G.-M. - Non, jamais. Un Conseil européen, vous savez, ce ne sont pas des discussions à bâtons rompus ; chacun prend la parole à son tour selon un ordre du jour précis. Il faut dire aussi que les scandales ne sont pas une exclusivité espagnole. En France, sous tous les présidents, il y a toujours eu des affaires. En Italie, c'est la même chose. Je ne dis pas que c'est bien mais, en Espagne en tout cas, ces incidents de parcours n'affectent pas le bon fonctionnement du gouvernement ni celui de notre …