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L'Europe qui redémarre

Entretien avec Michel Barnier, Commissaire européen chargé du marché intérieur et des services depuis le 9 février 2010 par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris

n° 141 - Automne 2013

Michel Barnier

Baudouin Bollaert - En tant que commissaire européen chargé du marché intérieur et des services financiers, vous êtes bien placé pour ausculter la crise que traverse l'UE. Certains annoncent la fin de la récession, mais les peuples demeurent méfiants. Où en est-on réellement ?
Michel Barnier - Face à plusieurs crises d'une grande violence, les dirigeants et les institutions de l'Union européenne ont pris les bonnes décisions. La politique adoptée explique un certain retour au calme. Même s'il faut rester prudent, car les signaux positifs demeurent fragiles, je pense pouvoir affirmer que nous avons remis sur les rails un train qui avait failli dérailler. À présent, le train redémarre... lentement. La zone euro sortira de la crise mieux organisée - et, j'espère, plus forte - qu'elle ne l'était auparavant.
B. B. - Dans son rôle de « gendarme », la Commission européenne est fréquemment critiquée, notamment en France. Ressentez-vous une méfiance croissante à l'égard du collège bruxellois ?
M. B. - Permettez-moi de rappeler brièvement ce qu'est l'architecture de l'UE. Comme chacun sait, il y a plusieurs institutions à Bruxelles. Il y a la Commission : elle propose, exécute les décisions et surveille la bonne application des traités ; mais il y a, aussi, deux Chambres : la Chambre des États qu'est le Conseil des ministres et la Chambre des peuples qu'est le Parlement européen. Ce sont elles qui prennent les décisions. Enfin, au sommet, il y a le Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement. Je ne cherche pas à distribuer de bons ou de mauvais points, mais toutes ces institutions sont responsables de ce qui se passe au niveau européen et de ce qui ne se passe pas...
B. B. - Tous coupables ?
M. B. - Soyons lucides : le système est complexe. Les institutions européennes ont du mal à décider. En outre, elles ont eu le tort pendant trop longtemps de laisser libre cours à cette caricature du capitalisme qu'est l'ultra-libéralisme, c'est-à-dire la foi excessive dans la dérégulation et l'autorégulation. C'est ce qui a entraîné des dérives, des erreurs, des inerties, des difficultés à trancher... J'estime que nous avons tiré les leçons de nos erreurs. J'en veux pour preuve les efforts que j'ai entrepris - avec la confiance du président Barroso - pour reconstruire un système global de régulation financière et remettre la finance au service de l'économie réelle et non pas à son propre service. Bref, nous sommes en train d'injecter de la transparence et de la morale là où elles avaient disparu. Mais je sais que dans certains pays, dont la France, on a tendance à mettre sur le dos de la Commission tout ce qui ne va pas au niveau national. Ce n'est pas juste...
B. B. - Et pas nouveau...
M. B. - Pas nouveau, non. Mais à continuer ainsi, on accentue la méfiance. Il est tellement facile de rejeter la faute sur les autres ! Bruxelles n'est pour rien dans les difficultés du marché du travail en France ; Bruxelles n'est pour rien dans la décision française d'instaurer la loi des 35 heures ; Bruxelles n'est pour rien dans le fait que, depuis quarante ans, le budget français n'a jamais été en équilibre... Oui, la Commission est critiquée. Mais, pour améliorer la gestion de la zone euro, nous avons créé de nouvelles obligations pour tous les États membres et défini un nouveau rôle pour la Commission. Or la France y a souscrit. Bien sûr, l'UE n'est pas parfaite, je viens de le dire. De mon point de vue, elle doit revenir aux principes - que j'ai toujours défendus - de l'économie sociale de marché. Il convient d'introduire davantage de démocratie et moins de bureaucratie dans les institutions bruxelloises. Il y a beaucoup de choses à corriger et c'est dans cet esprit que je suis revenu à la Commission. Mais les instances de l'UE ne sont pas responsables de tous les problèmes du continent. Chacun, tant à Bruxelles qu'à l'intérieur des 28 pays membres de l'Union, doit assumer ses responsabilités.
B. B. - Pour que l'Union fonctionne vraiment mieux, faut-il plus ou moins de fédéralisme ?
M. B. - Le mot fédéralisme n'a pas la même signification d'un pays à l'autre. Il ne faut donc pas bloquer le débat politique sur un terme qui n'a pas la même traduction partout. Il n'empêche que ce concept ne me fait pas peur. Nous avons, d'ailleurs, introduit un système largement fédéral quand nous avons lancé la monnaie unique. Et ce que nous faisons avec l'Union bancaire, en tirant les leçons de la crise financière, c'est du fédéralisme ! Je dirais par conséquent qu'il faut davantage d'intégration, davantage de politiques communautaires et moins de bureaucratie tant nationale qu'européenne...
B. B. - Vous venez de mentionner la mise en place d'une Union bancaire. Celle-ci a été décidée en juin 2012 et devrait être achevée fin 2014... Quel en est le contenu ?
M. B. - L'instauration de l'Union bancaire constitue une véritable révolution, pour les pays de la zone euro mais aussi pour les autres pays qui aspirent à la rejoindre. Nous avons bâti un cadre de régulation à la demande du G20 et nous y avons ajouté les règles que nous avons jugées nécessaires pour l'Europe afin de reconstruire des bases saines pour les marchés financiers : règles pour que les banques détiennent plus de capital et de meilleure qualité ; règles pour assurer une meilleure supervision du secteur financier ; règles pour encadrer les bonus financiers et les agences de notation, pour ne citer que quelques exemples... Aucun acteur, aucun produit, aucun secteur financier ne doit échapper et n'échappera à une supervision intelligente. Disons-le clairement : c'est la fin de l'autorégulation et de la dérégulation. Nous voulons, je le répète, que les marchés financiers travaillent pour l'économie réelle et non pour eux-mêmes.
B. B. - Les délais seront-ils tenus ?
M. B. - La plupart des textes que nous avons élaborés arrivent à maturité cette année et s'appliqueront aux 28 pays du marché unique. …