Les Grands de ce monde s'expriment dans

Les défis régionaux du Maroc

Entretien avec Nizar Baraka, homme politique et économiste marocain, par Frédéric Encel, docteur en géographie géopolitique, maître de conférences HDR en questions internationales à Sciences-Po Paris, fondateur et animateur des Rencontres internationales géopolitiques de Trouville.

n° 142 - Hiver 2014

Frédéric Encel - Le Maroc a échappé aux soubresauts, parfois extrêmement violents, des printemps arabes. Comment l'expliquez-vous ?
Nizar Baraka - Si le Maroc a été épargné par les printemps arabes, c'est parce qu'il s'était engagé dans un processus de transition démocratique dès la fin des années 1990, soit bien avant les autres pays de la région. Le souverain a voulu réconcilier les Marocains avec leur passé récent pour leur permettre de bâtir un projet national porteur de cohésion sociale, d'équité et de justice. Cela s'est traduit par une série de réformes institutionnelles. J'en citerai deux : la mise en place de l'Instance équité et réconciliation (IER), chargée d'instruire les dossiers de violation des droits de l'homme commis depuis l'indépendance, en 1956, jusqu'à 2004 ; et la création de l'Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) qui vise à une meilleure reconnaissance de l'identité amazighe (1).
L'une des réformes phares engagées au cours de cette période porte sur les droits de la femme et la modernisation de son statut à travers l'adoption d'un nouveau Code de la famille et la refonte du Code de la nationalité. Par ailleurs, des quotas ont été mis en place afin d'améliorer la représentativité des femmes en politique (10 % de sièges au Parlement et 12 % aux élections communales). Une politique de développement territorial équilibré est également sur les rails, avec le lancement de grands chantiers dans les domaines des infrastructures, de la logistique et de l'industrie. Sur le plan social, enfin, un programme d'envergure de lutte contre l'exclusion et la pauvreté a été initié par le souverain. Ce programme inclut un système d'assurance maladie obligatoire et un régime d'assistance médicale pour les populations vulnérables (le RAMED).
Ces avancées démocratiques ont servi de bouclier contre la vague de soulèvements dans la région. Et c'est sur ce socle que les autorités marocaines se sont appuyées pour entamer la seconde phase des réformes.
F. E. - En quoi consiste ce nouveau train de réformes ?
N. B. - Il s'agit de réorganiser le fonctionnement des institutions et de favoriser le renouveau politique. Le coup d'envoi en a été donné par le roi dans son discours du 9 mars 2011. La nouvelle Constitution, adoptée en juillet 2011, prône la séparation des pouvoirs, la bonne gouvernance, garantit les libertés individuelles et collectives ainsi que l'indépendance de la justice. Les élections législatives anticipées en novembre de la même année se sont déroulées dans des conditions parfaitement démocratiques et transparentes. Elles ont abouti à une nouvelle alternance politique (après l'alternance consensuelle de 1998), avec l'arrivée au pouvoir d'une coalition dirigée par le Parti de la Justice et du Développement.
F. E. - Dans les années 2000, votre pays a été frappé par plusieurs attentats meurtriers. Comment le Maroc fait-il face à la menace terroriste ?
N. B. - Permettez-moi juste de vous rappeler une chose : Sa Majesté le roi Mohammed VI, Commandeur des croyants, incarne la plus haute autorité religieuse du pays. Cette spécificité marocaine joue un rôle essentiel dans la défense et la diffusion des valeurs de paix, de tolérance et d'ouverture de l'islam. Pour lutter contre la montée de l'extrémisme radical et du terrorisme, nous avons engagé, en 2004, une réforme du champ religieux (2). Un accent particulier a été mis sur la formation des imams et des oulémas (théologiens), et les institutions en charge des affaires religieuses ont été repensées : mise en place d'une Charte des oulémas ; révision de la législation sur les lieux de culte ; création de Conseils régionaux des oulémas...
F. E. - Sur quels autres terrains la lutte contre le terrorisme se joue-t-elle ?
N. B. - Sur le plan sécuritaire, nous avons mis en place une politique de prévention efficace qui nous a permis de démanteler un certain nombre de cellules terroristes. Nous nous sommes aussi attaqués au nerf de la guerre : notre dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, qui répond aux plus hauts standards internationaux, a été salué en octobre dernier par le Groupe d'action financière (GAFI) (3). Sans parler de la politique de développement social et économique, qui se veut un instrument de prévention contre l'extrémisme et qui a permis une amélioration sensible du pouvoir d'achat des Marocains.
F. E. - Cela dit, le danger vient aussi de l'extérieur. Depuis quelque temps, en effet, des groupes islamistes radicaux se développent au Sahel...
N. B. - Le Maroc est convaincu de la nécessité de stabiliser la région et de coordonner les efforts de tous les pays concernés pour lutter contre le terrorisme. Vous vous souvenez sans doute que la deuxième conférence régionale pour le renforcement de la sécurité des frontières entre les pays du Sahel et du Maghreb s'est tenue à Rabat le 14 novembre dernier. Parmi les décisions prises figure la création d'un Centre régional de formation et d'entraînement pour les officiers en charge de la sécurité des frontières dans les États de la région. Cela dit, la bataille contre le terrorisme se gagnera aussi dans les têtes. C'est pourquoi un accord de coopération en matière d'enseignement de l'islam a été signé en septembre dernier entre Rabat et Bamako, lors de la visite du roi au Mali. Il prévoit la formation de 500 imams maliens sur deux ans. La première promotion a entamé son programme en novembre 2013.
F. E. - Où en sont les pourparlers sur la question du Sahara ?
N. B. - Le Maroc a proposé un plan d'autonomie du Sahara en 2007 (4). Ce plan a été bien accueilli par la communauté internationale, dont la France, qui le considère comme une initiative sérieuse. Très récemment, les États-Unis lui ont apporté leur soutien. Dans la déclaration commune qui a clos la visite du roi Mohammed VI le 22 novembre à Washington, cette proposition marocaine est qualifiée de « sérieuse, crédible et réaliste ».
Mais, malgré la poursuite des négociations et les efforts de l'envoyé spécial de l'ONU, Christopher Ross, le processus s'est enlisé. Or le …