Entretien avec Andrej Babis par Luc Rosenzweig
Luc Rosenzweig - Quelles sont les raisons qui ont poussé un homme d'affaires aussi brillant que vous à s'engager en politique ?
Andrej Babis - Au départ, ce n'était pas mon intention. J'ai été contraint de sauter le pas en raison des circonstances, surtout à cause des hommes politiques tchèques. Je ne supportais plus leur incompétence et la manière dont ils pillaient les finances publiques. En 2011, j'ai dit publiquement ce que je pensais du fonctionnement de la vie politique, et des milliers de personnes m'ont approuvé. Malheureusement, je me suis aperçu qu'il n'y avait pas d'autres moyens pour changer les choses que d'entrer en politique. Pendant longtemps, j'ai cherché quelqu'un qui pouvait avoir un meilleur profil que le mien, mais personne n'a fait l'affaire. Alors j'ai pris la décision d'y aller seul. Pour moi, il s'agit d'un sacrifice. Au lieu d'agir, je dois passer du temps à me défendre et à expliquer ce que je veux faire pour améliorer la situation. C'est laborieux, mais les centaines de milliers de voix recueillies aux dernières élections par le mouvement ANO, dont je suis le leader, m'obligent à faire face à mes responsabilités.
L. R. - Votre parti le Mouvement des citoyens mécontents est devenu, dès sa première participation à un scrutin national, la deuxième force politique du pays. Comment expliquez-vous cette performance ?
A. B. - Notre mouvement n'aurait pas connu un tel succès si, au lieu de mentir et de voler, les politiciens avaient proposé aux Tchèques une vision d'avenir. Nous avons présenté comme candidats des personnalités qui n'ont pas besoin de la politique pour vivre. Ce sont des gens qui veulent travailler pour ce pays et pour ses citoyens. Pour l'instant, nous expliquons aux « professionnels de la politique » comment on fait tourner les entreprises privées. Nous essayons de leur faire comprendre qu'elles sont gérées de manière beaucoup plus rationnelle que l'administration où personne ne s'offusque de voir des millions jetés par les fenêtres.
L. R. - Comment vous situez-vous sur l'échiquier politique tchèque et européen ? Si ANO obtenait, en juin prochain, des élus au Parlement de Strasbourg, à quel groupe demanderiez-vous votre adhésion ?
A. B. - Nous sommes un mouvement (et non un parti) politique centriste au sens large. La droite et la gauche sont aujourd'hui des concepts vides de sens en République tchèque. Ici, la gauche a privatisé les banques et la droite a augmenté les impôts ! Nous affirmons qu'il est possible de récompenser le succès et de créer un environnement favorable aux affaires tout en maintenant une solidarité permettant d'aider ceux qui sont dans le besoin. Dans notre mouvement, il y a des gens qui sont de sensibilité de gauche et d'autres qui se sentent plus proches de la droite. Mais tout le monde s'entend bien. C'est comme cela que doit fonctionner la politique. Chez nous, en vingt-quatre ans, les politiciens n'ont pas réussi à s'entendre sur ce qui serait bon pour le pays. Tout ce qu'ils savent faire, c'est se mettre d'accord sur ce qui serait bon pour eux !
Pour ce qui est du Parlement de Strasbourg, notre tête de liste, l'ancien commissaire européen Pavel Telicka, a pris contact avec le chef de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE), l'ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt. Cela ne signifie pas que nous accepterons de faire partie de son groupe - il est encore trop tôt pour le dire.
L. R. - On vous compare, aussi bien en République tchèque qu'à l'étranger, à Silvio Berlusconi. Que pensez-vous de ce parallèle ?
A. B. - Je dois avouer que cette comparaison ne m'amuse pas beaucoup. M. Berlusconi a acquis dans des conditions peu claires trois des chaînes de télévision italiennes ; il a des ennuis fiscaux ; il aime les fêtes obscènes et les jeunes filles. Je me considère plutôt comme un ascète, j'ai une femme, je bois peu d'alcool, mes impôts sont en règle, mon ego n'est pas surdimensionné et je ne ressens pas la nécessité de me mettre en scène. Ce que je veux vraiment, c'est que nous - et si ce n'est pas nous, alors ce seront nos enfants - puissions vivre dans ce pays et ne pas en avoir honte. Si je me comportais comme M. Berlusconi, il est certain que cet objectif ne pourrait être atteint. Il faut se souvenir qu'un homme politique tchèque - l'ancien premier ministre Mirek Topolanek (2) - avait des relations très étroites avec M. Berlusconi et un style de vie comparable. Eh bien, je considère que le gouvernement Topolanek a été l'un des plus corrompus de notre histoire récente.
L. R. - Votre parti a signé un accord de coalition avec les sociaux-démocrates. Quelle a été la ligne défendue par ANO au cours de ces négociations ?
A. B. - Tout d'abord, nous avons insisté sur le fait qu'il est possible de gérer les finances publiques de manière complètement différente. Nous voulons, également, que l'administration soit à l'écoute des citoyens - ce qui changerait l'atmosphère qui règne dans ce pays. Notre objectif est de démontrer qu'un politicien peut être un manager compétent, dont la priorité est le fonctionnement efficace de l'État. Il y a cependant des problèmes fondamentaux à régler en premier : le chômage, la mauvaise qualité des infrastructures, l'inflation législative, le sous-financement et les défaillances du système de santé, la dette publique, etc.
L. R. - Votre passé, à l'époque de la dictature communiste, est critiqué par vos adversaires. On vous accuse, notamment, d'avoir collaboré avec la StB, la police politique du régime. Que leur répondez-vous ?
A. B. - Je réponds toujours la même chose : je n'ai pas collaboré avec la StB. Il est exact que j'ai fait l'objet d'une enquête de la StB - ce qui était la routine, sous le communisme, pour un fonctionnaire du commerce extérieur -, mais je n'ai jamais signé de pacte, je n'ai dénoncé personne, je ne me suis rendu dans aucun « appartement conspiratif » (3). Je récuse totalement …
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