Entretien avec Viktor Orban, Premier ministre de la République de Hongrie depuis 1998. par Antoine Vitkine, Journaliste indépendant
Antoine Vitkine - Monsieur Orban, on vous présente souvent comme un grand communicateur. Quelle part la communication occupe-t-elle dans la politique ?
Viktor Orban - Plus de la moitié ! Disons qu'environ un tiers de ce métier consiste, pour un dirigeant, à trouver une bonne idée et à l'inscrire dans un programme politique ; 10-15 % à en débattre, au Parlement notamment ; et 50 % à la présenter aux citoyens ! Vous pouvez appeler cela de la communication. Les proportions n'étaient pas les mêmes il y a cent ans, c'est certain. Mais la politique moderne est ainsi faite. Je trouve que c'est une bonne chose. Les affaires publiques sont, de nos jours, plus démocratiques qu'elles ne le furent jamais auparavant dans l'Histoire ; les gens doivent être impliqués ; or la meilleure manière de les impliquer, c'est la communication.
A. V. - Votre pays est-il difficile à gouverner ?
V. O. - Faire de la politique en Europe centrale, c'est toujours compliqué ! Mais, lorsque je repense au milieu des années 1980, quand sont nés les mouvements de résistance au communisme, je me rends compte qu'il était encore plus difficile d'agir en politique que maintenant. L'ombre de l'URSS planait sur notre pays, l'Armée rouge était déployée chez nous, tous les médias étaient sous contrôle, la police était omniprésente. Pour ceux qui, comme moi, ont connu cette époque, les temps actuels sont tout à fait paisibles...
A. V. - Vous avez récemment inauguré une usine de la compagnie de télécommunications chinoise Huawei dans les environs de Budapest. À cette occasion, je vous ai entendu glisser à l'ambassadeur chinois : « Au moment où l'Europe est en proie à de lourds débats sur son avenir, le fait que vous soyez là, que je sois là avec vous, est un message fort. » De quel message s'agit-il, exactement ?
V. O. - Ma conviction, c'est que l'Europe a besoin de redéfinir sa stratégie globale. Depuis plusieurs années, en grande partie à cause de la crise, l'Europe a perdu une part de sa compétitivité économique et de son influence politique à l'échelle planétaire. Si elle souhaite redevenir l'un des grands acteurs internationaux, elle doit agir différemment. On ne peut plus se conduire dans l'arène mondiale comme il y a dix ans ! Le temps est venu de repenser notre approche des relations internationales. Et, de ce point de vue, l'une des questions les plus brûlantes est celle-ci : comment l'Europe peut-elle améliorer ses relations avec la Chine, qui est une puissance émergente majeure dans le monde ? Il est, bien sûr, tout aussi primordial de décider comment l'Europe pourrait organiser ses rapports avec les États-Unis, sur la base du libre marché. Sans oublier de redéfinir nos relations avec les Russes, qui sont à nos portes et dont nous dépendons tellement pour notre approvisionnement énergétique que nous n'avons d'autre choix que d'entretenir avec eux des liens étroits. Bref, il me semble que les pays de l'UE se focalisent trop sur l'amélioration de leur compétitivité à l'intérieur des frontières de l'Union, alors que la situation exige que l'on se consacre à redéfinir les relations de l'Europe avec le reste du monde...
A. V. - La Hongrie a-t-elle déjà entamé cet aggiornamento que vous appelez de vos voeux ?
V. O. - Nous autres, Hongrois, avons un grand problème : nous pensons vite mais nous agissons lentement ! Nous avons depuis longtemps conscience que quelque chose de nouveau est en train de se produire sur la scène internationale ; mais la France et l'Allemagne ont commencé à bâtir leur propre relation avec cette Chine émergente bien avant nous. Le commerce de ces pays avec Pékin est bien plus développé que le nôtre. Sur ce dossier, nous avons plusieurs années de retard. Mais nous nous sommes enfin assigné un objectif clair : alors qu'en 2013 11 % seulement de nos exportations ont été destinées à des pays non européens, ce ratio doit passer à 30-35 % d'ici quelques années.
A. V. - Le message fort adressé à l'UE que vous évoquiez lors de cette inauguration a-t-il aussi une dimension politique ? L'ambassadeur vous a en effet répondu en citant Deng Xiaoping : « Le débat, ce n'est pas tout ; le plus important, c'est l'action », et cette citation vous a visiblement amusé...
V. O. - Ce qui est incontestable, c'est que les Chinois, eux, sont extrêmement efficaces. Nous, les Européens, ne pouvons pas reproduire leurs méthodes à l'identique, c'est l'évidence. Nous devons absolument conserver nos valeurs et nos procédures démocratiques. Or la démocratie implique la négociation, la discussion, la mise en place de commissions diverses et variées, la recherche constante de l'intérêt commun... Chez nous, le processus de prise de décision est nécessairement plus long que dans les systèmes autoritaires. Mais il ne faudrait pas oublier que la démocratie, ce n'est pas seulement un débat interminable. C'est aussi une forme de leadership : une fois la décision adoptée par la majorité, elle doit être mise en oeuvre avec détermination et professionnalisme. Il est impératif de ne pas perdre de vue cette composante essentielle de tout pouvoir démocratique. Car, si les régimes démocratiques se révèlent incapables d'offrir un leadership approprié à leurs habitants, en particulier en situation de crise, les gens finiront pas remettre en cause la démocratie elle-même !
A. V. - Quels sont, à vos yeux, les enjeux des prochaines élections européennes, pour l'UE et pour la Hongrie ?
V. O. - Premièrement, ce scrutin doit être l'occasion de défendre l'Europe en tant que communauté de valeurs. Nos nations appartiennent toutes à la même civilisation. Quels que soient nos problèmes économiques, l'Europe est un espace de liberté individuelle et de libre commerce. Il s'agit de rappeler cette réalité avec force - et cela, d'autant plus explicitement que, un peu partout sur le continent, certains partis politiques ensevelissent l'UE sous les injures et souhaitent sa disparition. Défendre l'Europe contre les extrémistes de gauche et ceux de droite, tel est l'enjeu principal de ces élections !
A. …
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