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Chypre : l'espoir de la réunification

Entretien avec Nicos Anastasiades par Jean Catsiapis, Maître de conférences à l'Université Paris-X, spécialiste de la Grèce et de Chypre

n° 143 - Printemps 2014

Jean Catsiapis - Peu après votre élection, Chypre a été frappée par une grave crise économique et financière (7) : l'an dernier, le PIB a reculé de plus de 8 %. En 2014, votre pays devrait être l'unique État membre de l'Union européenne à connaître encore la récession (8). Comment expliquez-vous vos difficultés à sortir de la crise ?
Nicos Anastasiades - Le chiffre auquel vous faites allusion était une prévision de la « troïka » (9). En réalité, nous avons enregistré en 2013 une récession de 5,7 % et non de 8 %. Chypre, une fois de plus, a fait mentir tous les pronostics alarmistes et a confirmé le dynamisme et la créativité de son peuple. C'est la première fois qu'un pays soumis à un programme d'assistance financière internationale dépasse les objectifs qui lui ont été fixés. Nous espérons que 2014 sera l'année de la stabilisation et qu'en 2015 nous renouerons avec la croissance.
J. C. - Estimez-vous que Chypre est une victime collatérale de la crise grecque ? Rappelons que vous avez été contraint par Bruxelles d'effacer les 4,5 milliards d'euros de dettes qu'Athènes avait contractées auprès des banques chypriotes (10)...
N. A. - C'est évident. Les économies de nos deux pays sont étroitement dépendantes l'une de l'autre. Outre leurs pertes dues à la dette hellénique, les banques chypriotes ont été exposées sur le marché grec en raison de leurs succursales (11). Or nous avons été contraints par la troïka de liquider ces succursales (12). Nous avons perdu dans cette opération 2 à 3 milliards d'euros supplémentaires. Sans compter l'évaporation en Grèce d'une large part des liquidités d'urgence (ELA) accordées à nos banques par la Banque centrale européenne (13).
J. C. - Votre pays est souvent présenté comme un paradis fiscal et une lessiveuse de capitaux douteux provenant principalement de Russie. Est-ce toujours le cas ?
N. A. - Il y a eu beaucoup d'exagérations à ce sujet. Sur décision de l'Eurogroupe, la société Moneyval (14) a réalisé à Chypre une enquête - la plus poussée jamais pratiquée dans un État membre de l'Eurozone - sur la question du blanchiment. Cette enquête inflige un démenti à tout ce qui a été dit et écrit sur Chypre.
J. C. - Pourquoi la Russie, qui avait accordé à Chypre un prêt de 2,5 milliards d'euros en 2011, a-t-elle refusé de vous aider à nouveau en mars 2013 ?
N. A. - J'ai téléphoné au président Poutine durant nos négociations avec la troïka sur les mesures d'assistance financière. La Russie a estimé qu'elle devait se tenir à l'écart de ces négociations afin de ne pas affecter ses relations avec l'Union européenne (15).
J. C. - Chypre a bénéficié en mars 2013 d'un prêt de 10 milliards d'euros de l'UE et du FMI moyennant une réorganisation de son système bancaire et de profondes réformes structurelles. Étiez-vous obligé d'accepter la tutelle de la troïka ? On sait que d'autres pays en difficulté, comme l'Espagne, l'ont refusée...
N. A. - Les circonstances ne nous ont pas laissé le choix. Nous aurions préféré prendre nous-mêmes à temps les mesures nécessaires pour éviter l'intervention de la troïka, mais les choses se sont passées autrement. Le gouvernement était alors dirigé par un parti (16) qui avait des conceptions différentes des nôtres. Il nous a fallu gérer une situation exceptionnelle et nous retrousser les manches. Dès lors que nous avons accepté l'intervention de la troïka, nous avons travaillé avec elle main dans la main. Nous allons continuer avec la même constance et la même détermination jusqu'à ce que nous sortions du programme... en espérant ne jamais revivre une telle aventure !
J. C. - Le parti Akel, principal parti d'opposition à votre gouvernement, s'interroge sur le maintien de Chypre dans la zone euro. Est-ce envisageable ?
N. A. - La sortie de la zone euro n'est pas et n'a jamais été pour nous une option. La question ne se pose même pas.
J. C. - L'occupation du nord de Chypre par l'armée turque dure depuis près de quarante ans. Vous avez déclaré que la question chypriote pourrait être réglée dans les prochains mois. Comment expliquez-vous ce soudain optimisme ?
N. A. - Quarante ans d'occupation, c'est long, je vous l'accorde. C'est pourquoi nous voulons trouver une solution à la question chypriote le plus rapidement possible. Il ne suffira pas de quelques mois pour régler tous les problèmes. Mais des facteurs nouveaux sont intervenus qui sont de nature à faciliter les négociations. Je pense naturellement à la découverte du gaz naturel au large de nos côtes. Les hydrocarbures peuvent devenir le catalyseur d'une réconciliation. Dans le cadre d'une fédération, chacune des deux communautés se verrait reconnaître des droits sur les ressources du pays. Au-delà du cas chypriote, il est évident que les hydrocarbures et leur exploitation peuvent constituer un facteur de stabilité pour les États de la Méditerranée orientale. Israël aussi a trouvé du gaz offshore, et ce gaz pourrait être acheminé en Turquie à travers la zone économique exclusive de Chypre, dont la position stratégique serait ainsi confortée. La réunification de Chypre ouvrira la voie à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. De plus, Ankara pourra trouver avantage à ce que la langue turque devienne langue officielle de l'UE (17) avant même qu'elle n'en fasse partie.
J. C. - Quelles sont vos propositions concrètes ?
N. A. - Nos propositions sont réalistes et prévoient un respect des droits des Chypriotes grecs sans pour autant bafouer ceux des Chypriotes turcs. La solution est une fédération bizonale fondée sur le principe de l'égalité politique (18).
Nos revendications ne sont pas seulement celles de la communauté chypriote grecque et ne rendent pas uniquement justice à celle-ci. La solution de la réunification et du respect des droits de l'homme est une revendication de tous les Chypriotes : Chypriotes grecs, Chypriotes turcs ainsi que tous les citoyens chypriotes (19), quelles que soient leur appartenance, leur langue ou leur religion.
J. C. - Depuis 1964, l'ONU déploie sur le sol de Chypre une …