Entretien avec Evguéni Chevtchouk, Président de la République moldave de Transnistrie depuis 2011 par Damien Dubuk, Journaliste indépendent basé à Kiev et Sébastien Gobert, journaliste indépendant basé à Kiev
Sébastien Gobert et Damien Dubuc - Monsieur le Président, vous revendiquez l'indépendance de la Transnistrie et souhaitez intégrer la Fédération de Russie. La République autonome de Crimée - officiellement partie intégrante de la république d'Ukraine - vient d'acter son rattachement à la Fédération de Russie par le référendum du 16 mars 2014. Est-ce le chemin à suivre pour la PMR ?
Evguéni Chevtchouk - Nous avons accueilli avec beaucoup d'enthousiasme l'annonce de la signature du décret « Sur la reconnaissance de la république de Crimée » et, plus généralement, tout ce que Vladimir Poutine a fait pour intégrer deux nouveaux sujets - la Crimée et la ville de Sébastopol - à la Fédération de Russie. Le retour de la Crimée à la Russie est une décision juste qui repose sur la volonté du peuple de Crimée et de tous les Russes. Le droit des peuples à l'autodétermination doit être un principe fondamental des relations internationales. Ce droit doit être respecté si l'on souhaite instaurer un ordre mondial juste et sûr. Et c'est exactement ce qui vient de se passer en Crimée. En cette période de tension, il faut saluer l'assistance que la Fédération de Russie a apportée à ce peuple qui souhaitait la rejoindre. Sur le territoire de la péninsule, son action a été déterminante pour garantir la paix et la stabilité et pour empêcher toute escalade de la violence.
La Transnistrie se trouve, évidemment, dans une situation très comparable. Je suis extrêmement satisfait de constater que les résultats du référendum en Crimée coïncident avec ceux du scrutin du 17 septembre 2006 en Transnistrie. Cette similitude est, à mes yeux, un signe que le monde russe est en train de renaître et que le désir d'unité des Russes ne peut pas être arrêté ! La décision des Criméens et des Transnistriens de rejoindre la Fédération de Russie est justifiée historiquement et correspond aux aspirations de nos peuples. Je le répète : la volonté populaire doit être au coeur de la démocratie et de l'État de droit.
S. G. et D. D. - Il n'en demeure pas moins que la Fédération de Russie n'a jamais répondu de manière positive - ni négative, d'ailleurs - aux résultats du référendum que la Transnistrie a organisé en 2006. Alors que, à l'inverse, Moscou a accepté l'adhésion de la Crimée en un clin d'oeil... Les citoyens russes - et le gouvernement russe - sont-ils déterminés à vous accueillir ?
E. C. - Adhérer à la Fédération est notre objectif ultime, mais il est prématuré d'en discuter ; il faut déjà commencer par régler le conflit avec la Moldavie.
S. G. et D. D. - Selon vous, la Moldavie est-elle prête à accepter la séparation ?
E. C. - Voilà vingt-trois ans, depuis la déclaration d'indépendance de la PMR, que la question de la reconnaissance internationale de la Transnistrie est gelée. Mais je crois sincèrement que nous sommes arrivés à une étape historique de la séparation et qu'il ne reste plus qu'à prendre une décision définitive. Pourquoi ? Parce que les deux pays ont des visions radicalement divergentes de leur avenir. La Moldavie vient de parapher un accord d'association avec l'Union européenne. Quant à nous, nous aspirons à obtenir l'indépendance puis à intégrer la Fédération de Russie. Vous le voyez : la Moldavie et la Transnistrie empruntent des directions tout à fait opposées, c'est le moins qu'on puisse dire ! C'est pourquoi je propose ce que j'appelle un « divorce civilisé », comparable à celui de la Slovaquie et de la République tchèque : une séparation sans guerre ni violence.
Ce divorce civilisé serait une excellente solution pour résoudre le conflit qui nous oppose à Chisinau. C'est ce que souhaitent les citoyens de la Transnistrie. Et je suis sûr que, tôt ou tard, un dirigeant moldave courageux comprendra la nécessité de ce divorce civilisé. À ce moment-là, nous pourrons commencer à construire notre relation avec Chisinau comme une relation normale de bon voisinage.
S. G. et D. D. - Vous parlez de « bon voisinage ». Pourtant, à la veille du paraphe de l'Accord d'association entre la Moldavie et l'UE, vous-même et Dmitri Rogozine - vice-premier ministre russe et envoyé spécial de Vladimir Poutine pour la Transnistrie - avez brandi la menace d'une déstabilisation de la région. M. Rogozine avait averti Chisinau que son choix européen mènerait la Moldavie à la « perte définitive » de la Transnistrie. Ces déclarations musclées ne contredisent-elles pas les propos mesurés que vous tenez à présent ?
E. C. - Je dois commencer par une précision. Parmi ses nombreuses fonctions, Dmitri Rogozine a la charge de s'assurer de la sécurité et du bien-être des citoyens russes qui vivent sur notre territoire. Or chacun peut constater que la Transnistrie est régulièrement victime de pressions moldaves, notamment dans le domaine économique. Ces mesures ont causé une détérioration de notre niveau de vie. Les Russes résidant ici en ont évidemment été affectés. C'est pourquoi M. Rogozine est particulièrement attentif à toutes les décisions unilatérales prises par Chisinau qui pourraient avoir des conséquences néfastes pour la PMR.
Je tiens également à souligner que la position de la Russie satisfait pleinement aux exigences internationales. Peu nous importe que les gens à Chisinau préfèrent Bucarest ou Bruxelles : nous avons tous des affinités différentes et il faut les respecter. Mais nous ne pouvons pas nous résoudre à une solution forcée. Or c'est ce qui se passe actuellement avec le paraphe, par Chisinau, de l'Accord d'association. C'est comme si les Moldaves nous disaient : « Si vous n'acceptez pas nos choix politiques, vos transports ne fonctionneront plus, vos cargos de marchandises n'arriveront plus à destination, vos exportations ne pourront plus quitter votre pays, vos banques devront fermer, etc. »
S. G. et D. D. - L'Accord d'association entre la Moldavie et l'UE, loin d'acter le divorce que vous appelez de vos voeux, va donc compliquer la résolution du conflit ?
E. C. - Les experts russes font cette analyse, que nous partageons : après la mise en …
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