Politique Internationale - Si vous deviez résumer l'histoire des réseaux énergétiques en Europe, quelles grandes dates charnières retiendriez-vous ?
Michel Derdevet - Difficile à dire, car cette histoire est à la fois riche et complexe. Riche, parce que beaucoup de temps s'est écoulé depuis les premières lignes électriques ou les premières canalisations de gaz, construites entre les États européens dans la première moitié du XXe siècle ; et complexe, parce que les nombreux défis, aussi bien techniques qu'économiques, liés à leur fonctionnement sont loin d'être complètement relevés. Ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui on considère trop souvent ces infrastructures de manière segmentée, au niveau local, régional ou national, sans voir les interactions multiples qui lient les entreprises de réseaux, par-delà les « frontières » territoriales.
Pour en revenir à votre question, jusqu'aux années 1980, ces équipements sont d'abord vus comme des outils de secours mutuel. Puis, dans les années 1990, on passe à un stade supérieur, les réseaux étant envisagés comme un élément pivot essentiel du marché intérieur de l'énergie en création. Il s'agit alors de renforcer le maillage électrique du continent pour fluidifier les échanges entre pays, via une « plaque de cuivre » la plus interconnectée possible. Enfin, depuis les années 2000, les réseaux ont été en priorité dédiés au développement des énergies renouvelables, car ces nouveaux moyens de production doivent être raccordés à vitesse accélérée.
P. I. - Parmi toutes ces dimensions - sécurité, échanges, énergies vertes... -, laquelle est la plus importante ?
M. D. - Toutes ces dimensions s'interpénètrent volontiers. Prenons le développement des énergies renouvelables, éolien ou photovoltaïque : d'un côté, il y a incontestablement une dimension de proximité, d'implantation dans les territoires, souvent ruraux - ce qui explique, par exemple, le fait que cette production est majoritairement (à 95 % en France) raccordée aux réseaux de distribution. Mais il y a aussi un cadre national - avec, au plan physique, la nécessaire prise en compte de l'équilibre global offre-demande et, au plan économique, la « règle d'or » de la péréquation qui garantit des coûts d'acheminement de l'énergie homogènes entre les divers territoires. Il y a, enfin, une troisième dimension : l'Europe. Les échanges permanents entre pays, qui transitent par les infrastructures d'interconnexion (électriques ou gazières), permettent de garantir la solidarité, des relations commerciales fluidifiées et une sécurité d'approvisionnement renforcée. À l'arrivée, il faut donc éviter de regarder les réseaux par le petit bout de la lorgnette !
P. I. - Quels sont les concepts clés du développement des réseaux ?
M. D. - La transition énergétique s'impose assez naturellement dans la vision que nous devons avoir, à l'horizon 2030 ou 2050, en France, en Europe ou au niveau mondial. Le recours accru aux énergies décarbonées - une exigence fondamentale au vu des derniers constats du GIEC sur les émissions de CO2 qui explosent partout dans le monde - va nécessiter de lourds investissements pour renforcer les réseaux, qui devront impérativement s'adapter à un triple défi. D'abord, plus d'énergies renouvelables, réparties dans l'espace, …
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