Andriy Parubiy est l'une des rares personnalités qui ait émergé de la « révolution de l'EuroMaïdan » - du nom de Maïdan Nezalejnosti, la place de l'Indépendance à Kiev, épicentre de la lutte contre le régime de Viktor Ianoukovitch de novembre 2013 à février 2014. Après avoir efficacement dirigé « Auto-Défense du Maïdan », l'organisation qui a chapeauté les groupes de sécurité du campement révolutionnaire, il est devenu, à la suite du renversement de l'ancien pouvoir, le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense d'Ukraine. Un poste absolument crucial dans le contexte actuel : c'est cette instance, dont les prérogatives surpassent celles du ministère de la Défense, qui coordonne les actions de l'armée et de la police dans le cadre de l'« opération anti-terroriste » déclenchée par Kiev le 15 avril afin de reprendre le contrôle des régions irrédentistes de l'Est.
Pour une partie des Ukrainiens, M. Parubiy est un héros. Les Russes et les séparatistes de l'Est, eux, ont fait de lui leur bête noire. L'homme s'est lancé en politique en tant que militant nationaliste ukrainien dans une URSS moribonde mais encore officiellement anti-nationaliste. En 1990, à 19 ans, il devient député au Conseil régional de l'oblast de Lviv. Détenteur ad vitam aeternam du record du plus jeune député élu à travers toute l'URSS, il n'éprouve guère de regrets lorsque cette dernière disparaît. Dès 1991, il participe à la fondation du « parti national-socialiste d'Ukraine » (SNPU), résolument radical et nationaliste. Sous la conduite de son autre fondateur, Oleh Tyahnibok, le SNPU se muera en « Svoboda » (Liberté) - une formation qui dispose, depuis les législatives de 2012, de 36 sièges à la Verkhovna Rada (le Parlement du pays).
Un héritage qu'Andriy Parubiy ne dément pas mais qu'il minimise pour mieux souligner son engagement dans la Révolution orange en 2004, déjà en tant que commandant d'une unité d'auto-défense. Élu député en 2007 au sein du bloc « Notre Ukraine » (une coalition de neuf partis qui soutenait le président Viktor Iouchtchenko), il s'impose comme l'un des détracteurs les plus acharnés du système autoritaire et corrompu bâti par la « Famille », c'est-à-dire l'entourage proche de Viktor Ianoukovitch. C'est tout naturellement qu'il devient l'un des leaders de l'EuroMaïdan, puis un responsable de premier plan de l'Ukraine nouvelle.
Passé sans ciller des barricades enneigées de la révolution aux palais de la république, Andriy Parubiy a accepté de partager sa vision de l'avenir avec les lecteurs de Politique Internationale. Lui qui s'est battu dès son plus jeune âge pour l'idée d'un État-nation ukrainien estime que ce qui se passe aujourd'hui n'est qu'une nouvelle phase de cette même lutte.
S. G.
Sébastien Gobert - Entre l'annexion de la péninsule de Crimée et le chaos meurtrier qui règne dans l'est du pays, notamment dans les régions de Lougansk et de Donetsk, l'Ukraine vit indéniablement des heures dramatiques. Sommes-nous en train d'assister à la première guerre de l'Ukraine indépendante ?
Andriy Parubiy - Ce n'est pas une guerre au sens propre du terme. C'est une guerre hybride. La plupart de nos experts militaires s'accordent à la décrire comme un conflit d'un type nouveau. L'armée y joue un rôle de prévention et cherche avant tout à intimider les insurgés. Ceux-ci sont composés de professionnels étrangers - entrés sur notre territoire pour déstabiliser le pays et favoriser les projets que la Russie nourrit pour l'Ukraine - et d'extrémistes de l'Est ukrainien qui spéculent sur les frustrations des populations locales. Cette guerre hybride est soutenue en amont par une énorme machine médiatique qui pratique une désinformation constante. Enfin, l'un des éléments clés est l'utilisation des populations civiles en tant que boucliers humains. Cette pratique constitue un problème crucial dans la conduite de nos opérations. Rendez-vous compte : nous devons nous battre contre des tireurs d'élite cachés dans des bâtiments d'habitation et qui n'hésitent pas à lancer des grenades sur des jardins d'enfants !
Pour gérer au mieux cette situation très compliquée, nous entreprenons aujourd'hui une réforme de fond des forces de sécurité ukrainiennes - armée, police, garde nationale -, à la fois sur le plan tactique et sur le plan stratégique.
S. G. - Si c'est une guerre, même hybride, qui se déroule dans l'est de l'Ukraine, pourquoi avoir lancé des opérations militaires de grande ampleur sous la simple dénomination d'« opération anti-terroriste » ?
A. P. - Parce que si nous avions décidé d'une autre dénomination - état d'urgence, loi martiale... -, l'élection présidentielle du 25 mai n'aurait pas pu avoir lieu. Vous devez comprendre que le but principal de la Russie était d'empêcher la bonne tenue de ce scrutin. Alors que notre but à nous était d'assurer son bon déroulement. Or, selon la loi, l'opération anti-terroriste est le seul format qui autorise à mobiliser l'armée et les autres organes de sécurité de l'État sans paralyser la vie politique du pays. À présent que Petro Porochenko a été élu président, il lui appartient, en sa qualité de commandant en chef des armées, de décider de la façon dont nous allons agir à l'avenir pour reprendre de façon irréversible le contrôle des régions de l'Est.
S. G. - Concrètement, qu'est-ce que la tenue de l'élection a changé ?
A. P. - Le succès de l'élection a eu plusieurs effets très positifs. Primo, ce scrutin a apporté la preuve que l'immense majorité de la population souhaitait prendre part au vote. Dans les régions qui n'étaient pas contrôlées par les séparatistes, la participation a été élevée. Secundo, l'élection a ôté un argument aux rebelles. Après le renversement de Viktor Ianoukovitch, ils avaient martelé que le gouvernement central de Kiev était illégitime. Désormais, nous avons un président parfaitement légitime, …
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