Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le miracle rwandais

Frédéric Encel - On avait le sentiment que les relations franco-rwandaises tendaient à s'apaiser. Jusqu'à ce qu'une nouvelle crise éclate en avril dernier lorsque vous avez accusé la France de refuser de reconnaître ce que vous appelez sa « responsabilité » dans le génocide de 1994. Du coup, aucun officiel français n'était présent lors des commémorations du 20e anniversaire. Comment expliquez-vous ce regain de tension ?
Paul Kagamé - Nos relations avec les pays étrangers sont guidées par les principes de vérité et de respect mutuel. Notre relation avec la France n'échappe pas à la règle. Nous avons noté quelques avancées positives au cours des dernières années, notamment le premier procès d'un génocidaire présumé en France. Mais le problème de fond réside dans cette propension persistante à déformer l'Histoire.
Chacun a le droit de ne pas assister à la 20e commémoration du génocide contre les Tutsis, mais cela ne change pas la réalité historique. Cela ne change rien à l'implication d'un certain nombre de personnes avant, pendant et après le génocide, ni au fait que des génocidaires ont trouvé refuge à l'étranger et, en particulier, en France. Il est impossible de tordre la réalité par simple commodité ou pour plaire à tel ou tel.
F. E. - Mais, très concrètement, que demandez-vous aux autorités françaises d'aujourd'hui ? Une commission d'enquête façon Sénat belge en 1997 ? Des excuses officielles ?
P. K. - Ce n'est pas à nous de demander des excuses ou quoi que ce soit d'autre. C'est à la France qu'il appartient de choisir la façon dont elle entend examiner son passé. Nous avons regardé le nôtre en face et nous continuerons à le faire. Nous n'avions d'autre choix que de l'affronter. Je le répète : il nous appartient d'inventorier et d'analyser toutes les questions relatives à la tragédie qui s'est déroulée dans notre pays. Mais l'avenir de nos relations avec la France dépendra de la manière dont les uns et les autres se comporteront et assumeront leurs responsabilités à cet égard. Les uns et les autres, c'est-à-dire nous tous.
F. E. - La mémoire du génocide de 1994 a pris en quelques années une place considérable au Rwanda, à la fois dans l'espace, dans le temps, dans les mots et même sur le terrain diplomatique (bonnes relations avec Israël, liens entre les mémoriaux Yad Vashem et Gisozi, etc.). Quelle est la finalité de cette politique ?
P. K. - Ce rappel du passé ne procède pas d'un projet global, mais se compose d'une série d'éléments fondamentaux. Nous voulons honorer la mémoire de tous ceux qui sont morts et apporter du réconfort à ceux qui ont survécu, conformément aux valeurs de dignité nationale qui sont les nôtres. Nous voulons dire la vérité sur ce qui s'est passé tout en nous efforçant d'améliorer la vie quotidienne des Rwandais. Chacun de ces objectifs a son importance ; on ne peut pas privilégier l'un au détriment de l'autre. C'est en essayant de comprendre le génocide que l'on peut éviter que l'Histoire …