Aleksandar Vucic est le nouveau maître incontesté de la Serbie. Lors des élections anticipées du 16 mars 2014, son parti a obtenu la majorité absolue, avec 53 % des suffrages, une performance inédite depuis l'instauration du pluripartisme dans le pays, en 1990. Cet encore relativement jeune homme, né en 1970, a commencé sa carrière dans les rangs du Parti radical serbe (SRS), la formation ultra-nationaliste de Vojislav Seselj. Aleksandar Vucic fut ministre de l'Information à la fin des années 1990, aux pires moments de la fin du régime de Milosevic. Il dénonçait alors les journalistes serbes « vendus aux puissances étrangères », tout en expulsant du pays les journalistes étrangers.
Tout au long des années 2000, Aleksandar Vucic et son mentor Tomislav Nikolic dirigèrent le Parti radical, alors que Vojislav Seselj devait répondre de lourdes accusations de crimes de guerre devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). À l'époque, Aleksandar Vucic et Tomislav Nikolic dénonçaient cette juridiction « partiale » et mobilisaient l'opinion contre l'Union européenne, « création intrinsèquement anti-serbe »... Pourtant, les deux hommes prirent en 2008 l'initiative d'une scission du Parti radical et créèrent un nouveau Parti progressiste serbe (SNS) qui n'hésite pas à se définir comme « conservateur et pro-européen ».
En mai 2012, la troisième tentative étant la bonne, Tomislav Nikolic a finalement été élu président de la République, tandis qu'Aleksandar Vucic devenait vice-premier ministre du cabinet de coalition dirigé par Ivica Dacic, le dirigeant du Parti socialiste de Serbie (SPS). Les élections de mai 2014 ont inversé les rôles : Aleksandar Vucic a pris les commandes du gouvernement, son allié socialiste devant se contenter du portefeuille des Affaires étrangères.
Aleksandar Vucic reconnaît volontiers les « erreurs » commises dans le passé, tout en revendiquant le droit de chacun à changer d'opinion. Beaucoup doutent toutefois de la sincérité de cette « conversion démocratique ». Ce virage à 180 degrés a, en tout cas, été salué par les dirigeants européens qui pensent avoir trouvé en Aleksandar Vucic un interlocuteur fiable. D'autant plus fiable que ce nationaliste « reconverti » a accepté un vrai compromis sur le Kosovo : l'accord conclu en avril 2013 entre Belgrade et Pristina, sous l'égide de l'UE, a permis une « normalisation » des relations, même si la Serbie exclut toujours formellement de reconnaître l'indépendance proclamée en 2008 par son ancienne province.
L'exceptionnelle popularité du nouveau premier ministre repose largement sur sa volonté affichée de lutter contre la corruption - une politique amorcée dès 2012, lorsque Aleksandar Vucic était personnellement chargé de ce dossier dans le cabinet Dacic. Ainsi l'un des plus puissants hommes d'affaires serbes, Miroslav Miskovic, a-t-il été spectaculairement arrêté en décembre 2012. De même, plusieurs anciens ministres ont été mis en examen. Mais il est vrai que, jusqu'à ce jour, ces procédures ont exclusivement visé des personnalités liées à l'ancienne majorité démocrate...
Bien que les militants de la société civile serbe s'inquiètent de la mise en place d'un véritable culte de la personnalité, ainsi que de fréquentes atteintes à la liberté des médias, rien ne semble pouvoir arrêter l'ambitieux premier ministre.
P. B. et J.-A. D.
Philippe Bertinchamps et Jean-Arnault Dérens - Monsieur le Premier ministre, vous avez promis de vastes réformes économiques. Pouvez-vous détailler pour nos lecteurs ce projet de modernisation de la Serbie ?
Aleksandar Vucic - Ces réformes toucheront l'ensemble du pays. Ce qui compte pour moi, c'est que la Serbie devienne un pays économiquement fort, un pays normal où il fasse bon vivre. Pour cela, il faut changer notre mentalité, notre état d'esprit. C'est le point sur lequel j'insiste le plus : les Serbes doivent comprendre que ce n'est qu'à force de travail et d'efforts que leur vie pourra s'améliorer. Les réformes économiques se divisent en trois catégories. D'abord, réduction de nos dépenses publiques. Notre déficit est énorme. Selon le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, il nous faut économiser un milliard et demi d'euros par an.
Ensuite, les réformes structurelles. Il s'agit de mettre en place une atmosphère favorable à la création d'entreprises. De nouvelles lois seront adoptées : sur le travail, les faillites, les permis de construire, les hypothèques, la fonction publique, etc. Nous espérons achever ce travail législatif d'ici à l'été 2014.
Enfin, la réforme des entreprises publiques. Le partage des postes au sein de ces entreprises ne peut plus être l'apanage des partis politiques. Il devra dorénavant respecter des règles de management professionnel. Le problème le plus important concerne toutefois la restructuration de ces entreprises. Elles emploient plus de 60 000 salariés et coûtent 750 millions d'euros par an à l'État. Certaines ont cessé de fonctionner depuis dix, quinze ou vingt ans, comme par exemple la fabrique de meubles Simpo, à Vranje, dans le sud de la Serbie. L'État continue pourtant d'assurer un salaire minimum aux travailleurs. Il va sans dire que la plupart de ces réformes seront douloureuses. Sans elles, il sera impossible de créer un avenir meilleur pour la Serbie.
P. B. et J.-A. D. - Précisément, le projet de loi sur le travail élaboré par le précédent gouvernement a fait l'objet de très vives critiques, notamment de la part des syndicats. Il a été retiré peu avant la convocation des élections anticipées du 16 mars, cette volte-face provoquant la démission du ministre du Travail, Sasa Radulovic... En quoi consistera la prochaine loi ?
A. V. - La future loi sur le travail concernera quatre domaines distincts : les accords collectifs ; le temps de travail ; le salaire minimum ; l'embauche et le licenciement des salariés. Sur certains points, nous sommes près de conclure un accord avec les syndicats, pas sur d'autres. Nous devons cependant adopter cette loi, car elle est essentielle à la création d'un environnement favorable pour les affaires. Ce n'est qu'à ce prix que nous attirerons en Serbie les investisseurs étrangers. Je vous rappelle que ce sont eux qui paient le plus d'impôts et qui fournissent du travail à un grand nombre de nos citoyens...
P. B. et J.-A. D. - Vraiment ? Depuis que les Balkans sont sortis du cycle guerrier des années 1990, tous les gouvernements de la région …
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