Jean-Claude Juncker mériterait d’être inscrit dans le livre Guinness des records pour sa longévité au poste de premier ministre et ministre des Finances du Luxembourg mais, aussi, pour ses incomparables états de service européens. À 59 ans, l ’air juvénile et toujours une repartie décapante au bord des lèvres, ce polyglotte n’a pas son pareil pour analyser et dédramatiser les situations les plus complexes.
Son expérience est unique en Europe. D’ailleurs, personne ne la conteste, pas même ses détracteurs qui lui reprochent de ne pas incarner le « renouvellement ». Durant ses longues années de pouvoir à Luxembourg, on a pu dire à bon droit que son influence personnelle parmi les vingt-huit États membres de l’UE était inversement proportionnelle à la superficie du Grand-Duché...
Fils de métallo, diplômé de la faculté de droit de Strasbourg, grand lecteur, cet acteur majeur de la vie européenne des trente dernières années n’a pas que des amis : les uns le trouvent retors ; les autres cassant. Certains lui reprochent sa fibre sociale ; d’autres encore son fédéralisme... Mais tout le monde respecte son parcours qui ne doit rien au hasard et sa connaissance ency- clopédique des arcanes de Bruxelles !
Jusqu’à son seul échec en politique ou presque — bien qu’arrivé en tête aux législatives d’octobre 2013, le parti social-chrétien (centre droit), dont il est le pilier, a dû céder le pouvoir à une coalition de trois formations —, il a collectionné les postes prestigieux : chef du gouvernement luxembourgeois, président de l’Eurogroupe, gouverneur du Fonds monétaire international (FMI), gouverneur de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD)...
Cet artisan inlassable de la construction européenne qui a approché de près tous les grands leaders de la planète — de Vladimir Poutine à Gerhard Schröder en passant par Xi Jinping, Nicolas Sarkozy, Helmut Kohl, Barack Obama, Angela Merkel ou François Hollande — a montré l’étendue de son savoir-faire lors des élections européennes de mai dernier.
Se situant au-delà de la compétition pour la présidence de la Commission, M. Juncker a choisi politique internationale pour développer sa vision de l’avenir de l’Union européenne.
B. B.
Baudouin Bollaert — Monsieur Juncker, que vous inspire le résultat des élections européennes du 25 mai dernier ?
Jean-Claude Juncker — Je ne vous cache pas que la montée des extrêmes, en particulier en France, m’inquiète. Il ne faudrait pas que le score du Front national influence la manière dont votre pays conduit son redressement. Chacun sait que la France doit faire des réformes et je constate que le président François Hollande n’a pas dévié de cette ligne en commentant les résultats au lendemain du scrutin. La France doit poursuivre sa « révolution culturelle » afin de sortir de la récession et de retrouver la croissance. Pour le reste, je ne peux que me réjouir de la victoire — dans une conjoncture à l’évidence difficile — de ma famille politique, le PPE. une victoire qui, bien entendu, aura des conséquences institutionnelles majeures.
B. B. — Quelle est la réforme ou l’action la plus urgente à mettre en œuvre pour rendre l’Union européenne plus efficace ?
J.-C. J. — Comme je veux que l’Union soit grande sur les grands dossiers et attache moins d’importance aux petites choses, je dis- tingue deux priorités. D’abord, construire l’Europe de l’énergie. C’est la tâche la plus urgente, car nous ne pouvons pas continuer à être aussi dépendants vis-à-vis de Moscou. Songez seulement que certains pays membres de l’UE — comme la Lettonie — achètent 100 % de leur gaz à la Russie... La deuxième priorité concerne le secteur du numérique. Nous avons en europe vingt-huit régulateurs et des centaines d’opérateurs alors qu’en Chine ou aux Etats-Unis, par exemple, ils ne sont que trois ou quatre... Il faut donc vite avancer vers le marché unique du numérique.
B. B. — Quel regard portez-vous sur la monnaie unique ? L’asymétrie entre « bons » et « mauvais » élèves peut-elle encore durer longtemps ?
J.-C. J. — Il y a ceux qui respectent les règles à la virgule près, ceux qui mettent plus de temps à le faire et ceux qui hésitent sans cesse... Nous avons du mal à apprendre la gestion collective et solidaire de l’euro. La conduite des affaires économiques des uns conditionne celle des autres, mais certains Etats membres l’admettent avec difficulté... À vous de deviner lesquels ! Or, lorsque vous partagez la même monnaie, vous ne pouvez pas avoir des politiques trop divergentes. Ces politiques n’ont pas à être nécessairement les mêmes pour tous ; les méthodes et les instruments utilisés peuvent changer d’un pays à l’autre ; mais il doit y avoir une convergence en termes de résultats.
B. B. — Certains historiens et économistes affirment que pour accompagner de vraies réformes structurelles, il faut déva- luer. Ils citent les exemples du Canada et de la Suède et, plus loin de nous, de la France du général de Gaulle. Qu’en pensez-vous ?
J.-C. J. — Le concept de la dévaluation n’est plus de notre temps. Quand une grande économie dévalue, elle est suivie par d’autres. Chacun revient donc au point de …
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