Sciences Po, HEC, l'ENA, sans oublier un diplôme d'études supérieures de droit : Pascal Lamy, c'est d'abord une tête bien faite, un « crâne d'oeuf » comme disent les Américains. L'image colle bien à ce fils de pharmacien au physique de moine tibétain... Ce qui lui vaut son surnom de « Dalaï Lamy » !
Pascal Lamy, c'est ensuite un haut fonctionnaire qui, de l'Inspection des finances à Paris à la direction de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève, en passant par la Commission de Bruxelles (d'abord en tant que directeur de cabinet de Jacques Delors, ensuite comme Commissaire européen chargé du commerce), a occupé de nombreux postes stratégiques.
Pascal Lamy, c'est encore un social-démocrate pur jus qui, parce qu'il n'a jamais caché ses convictions au sein du parti socialiste français (dont il est membre), a toujours connu plus d'ennemis que d'admirateurs dans sa famille politique... Ce qui ne l'empêche pas, bien au contraire, de défendre ses idées avec une voix gouailleuse entretenue aux cigarillos.
Pascal Lamy, c'est enfin un Européen convaincu. À Bruxelles, on l'appelait « le chef de commando », « le Prussien » ou « l'Exocet » de Delors car, durant ses longues années passées à la tête du cabinet de l'ex-président de la Commission, il a mené son monde à la baguette pour mettre un peu d'harmonie dans l'orchestre européen.
En France, après une tentative politique ratée en 1993 - il a été battu sèchement aux législatives dans sa circonscription de Normandie -, il a rejoint l'équipe chargée du redressement du Crédit Lyonnais. Puis il est devenu le directeur général de la banque jusqu'à sa privatisation en 1999.
Âgé aujourd'hui de 67 ans, sans fonction officielle depuis son départ de l'OMC en septembre dernier après huit ans de mandat, ce grand commis atypique - féru de jogging et catholique assumé - parcourt le monde d'une conférence à l'autre, rédige des livres ou des rapports et travaille pour plusieurs instituts dont Notre Europe, think tank fondé par Jacques Delors, son maître et son modèle.
Grand défenseur de l'idée européenne, partisan d'une mondialisation « civilisée », visiteur à ses heures du président Hollande à l'Élysée, Pascal Lamy, qui vient de publier Quand la France s'éveillera (1), s'est fixé un objectif ambitieux : convaincre ses compatriotes de regarder le monde tel qu'il est et non tel qu'ils voudraient qu'il soit...
B. B.
Baudouin Bollaert - Selon vous, la France, dans son rapport au monde, a un « grave problème avec la vérité »... Depuis quand et pourquoi ?
Pascal Lamy - Il existe dans l'histoire et la culture françaises des constantes et des éléments plus conjoncturels. Parmi les constantes, la France a toujours eu une certaine vision du monde : une vision universaliste. Mais, simultanément, et c'est une spécificité bien de chez nous, les Français rejettent l'actuelle mondialisation. Ils ne l'aiment pas, ils la jugent mauvaise, injuste, dévoreuse d'identité... J'ai réfléchi à cette contradiction avérée et, petit à petit, j'en suis venu à l'idée qu'elle se trouve à l'origine des blocages français.
B. B. - La France fait-elle l'autruche ?
P. L. - D'un côté, on voudrait que le monde soit meilleur, ce qui est parfaitement légitime - même si, sans être parfait, il n'est pas aussi atroce qu'on le dit... De l'autre côté, on tourne le dos à la réalité, on ne pense qu'à s'en protéger en choisissant des solutions de facilité. Résultat : progressivement, la France « sort » de ce monde. Alors que son ambition serait de l'influencer, de peser sur son évolution, elle suit le chemin inverse. Dès lors, elle risque fort de perdre son influence. Au niveau de la planète, la classe moyenne approchera bientôt les cinq milliards d'êtres humains. Dans ce contexte, l'influence d'un État est particulièrement liée à ses performances économiques et sociales. Ces aspects comptent bien plus que la bombe atomique ou un siège permanent au Conseil de sécurité ! Or la France a des difficultés à le comprendre. J'y vois, je le répète, la cause de ses blocages et la porte ouverte à tous les populismes. Ce n'est pas le monde qui va mal, c'est notre pays !
B. B. - Le monde va-t-il si bien ?
P. L. - Il pourrait aller mieux, bien sûr ! Mais dans le rapport de l'Oxford Martin Commission (2) dont j'ai présidé les travaux, nous écrivons qu'à la question « à quelle époque voudriez-vous vivre ? » la majorité des habitants de la planète répond : « aujourd'hui ! » Et bon nombre d'entre eux disent aussi « demain », car ils pensent que demain sera meilleur qu'aujourd'hui. En revanche, si l'on pose la question aux Français, ils répondent « hier »...
B. B. - Faut-il y voir un signe de la nostalgie que les Français éprouvent à l'égard de leur grandeur passée ?
P. L. - Il y a de cela, évidemment. Mais on ne peut pas s'arrêter là. La vérité, c'est que la France sort peu à peu de la route depuis le premier choc pétrolier. Les Français ne peuvent pas se contenter d'accuser la Chine, les Allemands, Bruxelles, les immigrés et les Arabes de tous les maux alors qu'ils portent eux-mêmes la responsabilité de l'essentiel de ces maux ! D'autres pays ont connu les mêmes problèmes que nous - déficits publics, chômage, manque de compétitivité - mais ont su retrousser leurs manches pour …
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