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Ukraine : les arrière-pensées de Moscou


Poutine et Ianoukovitch, une relation tumultueuse


Comment expliquer la rapide détérioration des relations entre l'Ukraine et la Russie qui a commencé fin 2013 et s'est dramatiquement accélérée ces derniers mois ? Répondre à cette question exige de rassembler les pièces dispersées d'un puzzle complexe.
Les marchandages du président ukrainien
Dès son élection à la présidence de l'Ukraine en février 2010, les médias occidentaux ont systématiquement qualifié Viktor Ianoukovitch de leader « pro-russe ». La réalité est plus nuancée. Il est vrai que, lors des votes à l'ONU et, plus généralement, sur tous les grands dossiers de politique internationale, le chef de l'État ukrainien a toujours soutenu les positions russes. Mais il ne faudrait pas oublier que Ianoukovitch a formellement promis de maintenir le cap de l'intégration européenne qu'avaient tracé ses prédécesseurs issus de la révolution orange - Viktor Iouchtchenko et Ioulia Timochenko - et a même fait voter son Parti des Régions en faveur de la signature de l'accord d'association avec l'UE (1). En outre, contrairement à ce qui avait été parfois annoncé au moment de son élection, son mandat n'a certainement pas été marqué par un ancrage puissant des compagnies russes en Ukraine. Allié aux oligarques ukrainiens - qui ne voyaient pas d'un bon oeil l'arrivée de ces voisins encombrants sur « leur » territoire -, Ianoukovitch a beaucoup fait pour empêcher les businessmen russes de prendre pied dans son pays ; certainement pas par patriotisme, mais tout simplement parce qu'il ne voulait pas davantage « partager le gâteau » avec les Russes qu'avec son propre peuple. Bon nombre d'investisseurs russes s'en sont plaints à Vladimir Poutine, mais l'homme fort de Moscou n'a pas su convaincre son homologue de Kiev de se montrer plus accommodant.
Alors, Ianoukovitch a-t-il été un président pro-russe ou anti-russe ? Il a, surtout, été un président... pro-Ianoukovitch. On sait aujourd'hui qu'il a systématiquement pillé son pays au cours des quatre années qu'il a passées au pouvoir. Son objectif premier, si ce n'est unique, était son enrichissement personnel, ainsi que celui de sa famille et, notamment, de ses fils Alexandre et Viktor (2). C'est pourquoi il n'a cessé de délibérément jouer sur les deux tableaux - européen et russe - en soufflant le chaud et le froid afin d'obtenir le plus de prébendes possible des deux côtés.
Vladimir Poutine s'est toujours montré assez méfiant vis-à-vis de cet interlocuteur à l'attitude pour le moins ambiguë. D'ailleurs, il est bien possible que si Ianoukovitch est allé jusqu'à déclarer qu'il signerait l'accord d'association avec l'Europe (et, on l'a dit, faire voter en ce sens son parti, pourtant farouchement opposé au cap européen), c'est parce qu'il voulait absolument convaincre le président russe du sérieux de ses intentions... Pari gagnant : constatant la détermination du leader ukrainien à arrimer son pays à l'UE, le maître du Kremlin s'est résolu à « mettre le prix » nécessaire pour détourner Kiev de Bruxelles. À l'automne 2013, il a promis d'octroyer à l'Ukraine un prêt de 15 milliards de dollars, ainsi qu'une réduction …