Âgé de 56 ans, Robert Stephen Ford a passé la moitié de sa vie au service du gouvernement américain. Spécialiste du Moyen-Orient, il parle couramment l'arabe. Il a exercé ses talents de diplomate en Turquie, en Égypte, en Algérie, au Cameroun et à Bahreïn. Après l'invasion de l'Irak, il fut nommé conseiller politique au sein de la gigantesque ambassade des États-Unis à Bagdad. Il est, surtout, l'homme que le président Obama a choisi lorsque Washington a décidé de renouer avec Bachar el-Assad en 2010, après cinq années de fermeture de l'ambassade américaine à Damas (1). Mais pas plus le président américain que Robert Ford ne pouvaient imaginer qu'une guerre civile dévastatrice éclaterait peu après son arrivée en Syrie.
Contraint de fermer de nouveau l'ambassade pour des raisons de sécurité, Robert Ford devint alors, toujours pour le compte du département d'État, une sorte d'envoyé spécial itinérant auprès de toutes les factions de l'opposition syrienne. En Syrie même et à l'extérieur. C'est ce « right man in the right place » qui dévoile ici, pour les lecteurs de Politique Internationale, le fruit de son incomparable expérience.
D. R.
Dan Raviv - En février 2010, le président Obama vous a nommé ambassadeur en Syrie. Ce poste n'avait plus été occupé depuis 2005, année de la rupture des relations diplomatiques entre Washington et Damas. Vous avez finalement pris vos fonctions en janvier 2011, après un long délai dû à l'opposition des Républicains du Congrès à la restauration des relations bilatérales. Quelles étaient vos attentes au moment de votre arrivée à Damas ?
Robert Ford - Nous nous demandions tous si la Syrie serait préservée de la contagion révolutionnaire qui avait déjà touché la Libye, l'Égypte et la Tunisie. Mais le principal élément de ma feuille de route était lié à nos inquiétudes sur les liens entre Damas et le Hezbollah (2), et sur les activités du Hezbollah au Liban. Je devais également m'assurer que la Syrie respectait ses engagements internationaux dans le domaine du nucléaire - des engagements qui impliquaient, en particulier, qu'elle autorise des inspections internationales sur certains sites nucléaires bien précis (3). Enfin, j'avais pour objectif d'obtenir des autorités syriennes des informations sur leur programme d'armes chimiques. Dans l'idéal, nous souhaitions que ce programme fût détruit ; a minima, il fallait le soumettre à des inspections.
D. R. - Pensiez-vous alors pouvoir travailler normalement dans ce pays ?
R. F. - Certainement pas. Nous nous attendions à rencontrer de fortes résistances de la part du régime syrien. Personne n'imaginait que nous puissions nous entendre facilement avec Bachar el-Assad. Mais un long voyage commence toujours par un premier pas...
D. R. - Justement, le 27 janvier 2011, l'agence officielle syrienne SANA a publié une photo sur laquelle vous apparaissiez en compagnie de Bachar el-Assad, dans un contexte qui avait l'air plutôt serein. Quel souvenir avez-vous conservé de cette rencontre et de la présentation de vos lettres de créance ?
R. F. - Le ton de nos échanges est resté courtois, mais nous avons constaté de nombreux points de désaccord. Je me suis assis en gardant les mains jointes, pour conserver un maximum de retenue et ne pas être tenté de lui jeter quelques vérités bien senties à la figure. Il n'empêche que lorsque j'ai abordé les questions des droits de l'homme, notre conversation est devenue tout à fait glaciale.
D. R. - C'était l'époque où les manifestations commençaient dans les rues syriennes...
R. F. - Exact. Pendant cette première rencontre, nous avons discuté de l'éventualité d'une déstabilisation de la Syrie, à la suite des manifestations qui avaient touché plusieurs autres pays arabes. C'est moi qui ai abordé ce sujet. J'ai suggéré au président de procéder à des réformes afin de prendre les devants. Mais il m'a répondu que les Syriens étaient unis face à l'agression israélienne et qu'ils se considéraient comme le fer de lance de la résistance du monde arabe. Il a même eu ces mots : « Nous sommes unis, rassemblés. Monsieur l'ambassadeur, vous avez tort d'imaginer que de telles choses puissent se produire ici. » Je suis convaincu qu'il le pensait réellement. Je crois honnêtement qu'il …
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