Artur Mas, 59 ans, qui préside depuis décembre 2010 la Généralité - c'est-à-dire l'autorité régionale - de Catalogne, est l'héritier politique de Jordi Pujol qui gouverna la région pendant vingt-trois ans de 1980 à 2003, promouvant un nationalisme modéré de centre droit. M. Mas a longtemps repris cette position politique à son compte... avant de se mettre à militer en faveur de l'indépendance à partir de la mi-2010. Explication de cette radicalisation : le 28 juin de cette année-là, le Tribunal constitutionnel de l'Espagne rejette plusieurs articles du statut d'autonomie que le Parlement catalan a adopté en 2006 et qui a été ensuite approuvé par les Cortes (le Parlement espagnol), puis par un référendum local. Or les articles retoqués sont fondamentaux aux yeux des Catalans : ils définissent la Catalogne comme une nation, donnent la priorité à l'enseignement et à la diffusion de la langue catalane, et confèrent à la région une large autonomie judiciaire et fiscale, la singuralisant ainsi par rapport à toutes les autres provinces espagnoles.
Cette décision entraîne une vague de protestations. Le 10 juillet 2010, une manifestation monstre réunit près d'un million de personnes à Barcelone. Les sentiments indépendantistes profitent à la CiU (Convergence et Union), la coalition de partis de centre droit que préside M. Mas. Ce dernier remporte les élections régionales de décembre 2010 et succède à la tête de la Généralité au socialiste José Montilla (ce dernier avait occupé ce poste depuis 2007, à la suite de Pasqual Maragall, du même parti, en fonctions de 2003 à 2007). Il s'efforce au cours des années suivantes de convaincre Madrid de lui permettre de tenir un référendum d'autodétermination. Face au refus des autorités centrales, il franchit le pas et organise de son propre chef, le 9 novembre 2014, une « consultation » informelle sur l'avenir de la région, qui se solde par une large victoire de l'option indépendantiste, qui doit cependant être relativisée compte tenu de la très forte abstention. Le gouvernement de Madrid refuse de reconnaître les résultats et lance des poursuites contre M. Mas pour avoir mis sur pied ce vote malgré l'interdiction qui lui en avait été faite.
Acculé, le président de la Généralité jouera son va-tout le 27 septembre prochain, jour où se tiendront en Catalogne des élections régionales anticipées qu'il présente comme une « élection plébiscitaire » : selon lui, le scrutin du 27 septembre est le seul et dernier instrument légal et démocratique qui reste aux Catalans pour se prononcer sur leur destin. En cas de victoire des partis favorables à l'indépendance, ses administrés, estime-t-il, auront voté en faveur de la sécession. Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, considère pour sa part qu'une élection régionale ne peut servir à autre chose qu'à désigner une majorité au sein d' institutions locales et que les scrutins plébiscitaires ne sont pas prévus par la Constitution. C'est dans ce contexte tendu que M. Mas, parfois présenté comme « l'homme qui tient le sort de l'Espagne entre ses mains », a accordé cet entretien exclusif à Politique Internationale.
M. F.
Michel Faure - Vous avez toujours eu, pendant des années, l'image d'un nationaliste modéré, d'un homme de centre droit éloigné des extrêmes. Et voilà que, avec le scrutin régional du 27 septembre, vous apparaissez comme bien plus radical que vous ne l'étiez ! Comment l'expliquer ?
Artur Mas - Ce n'est pas seulement moi, ni seulement la classe politique, mais une partie significative de la société catalane qui est en train de bouger pour défendre sa vision de l'avenir et ses aspirations politiques. Les causes de ce mouvement se trouvent dans la manière dont s'est achevée la négociation sur le nouveau statut d'autonomie de la Catalogne avec la décision, le 28 juin 2010, du Tribunal constitutionnel espagnol qui a porté un coup mortel aux aspirations autonomistes de la Catalogne (1).
M. F. - Si les aspirations de ce que vous appelez « une partie significative de la société catalane » ne sont pas jugées conformes à la Constitution espagnole, comment sortir de cette impasse ?
A. M. - C'est la grande question. Je rappelle que la Catalogne a toujours défendu, depuis le retour de la démocratie, une entente avec l'Espagne en échange du rétablissement de son auto-gouvernement et de son autonomie politique qui sont, pour nous, une tradition historique remontant au Moyen Âge. La Catalogne a accompagné l'Espagne dans son retour à la démocratie, dans son effort de modernisation ; elle a approuvé sa volonté de rejoindre l'Union européenne et l'Otan. Après la fin du franquisme, l'Espagne a effectivement accompli sa part du marché : la Constitution espagnole de 1978 a accordé à la Catalogne l'autonomie politique et rétabli la Généralité et le Parlement catalan. Pendant vingt ans, ce système a bien fonctionné, avec des hauts et des bas de temps en temps, bien sûr... jusqu'à l'an 2000.
M. F. - C'est l'année de la réélection de José Maria Aznar à un deuxième mandat...
A. M. - Oui. Cette année-là, le Parti populaire (PP) obtient la majorité absolue et en profite pour mener une opération de recentralisation du pouvoir. L'idée du gouvernement de l'époque, c'est que l'Espagne est allée trop loin dans la décentralisation et qu'il faut à présent récupérer au profit de Madrid une partie des compétences concédées aux régions. En 2003, il y eut un changement de gouvernement en Catalogne. Je me suis présenté, pour la première fois, à ces élections, et je les ai gagnées ; mais avec une marge très étroite en nombre de voix. Trop étroite pour permettre à mon parti, Convergence et Union (CiU), d'exercer seul le pouvoir dans notre région. Trois partis politiques appartenant à un autre camp que le mien, au premier rang desquels le Parti socialiste catalan (PSC), ont alors formé une coalition de gouvernement qu'a dirigée Pasqual Maragall, le chef du PSC. Quelques mois plus tard, José Luis Zapatero remporte, à la tête du PSOE, les élections nationales espagnoles. La situation change. Des portes s'ouvrent et naît en Catalogne l'idée d'élaborer un nouveau statut régional - le précédent, adopté peu …
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