Le 17 décembre 2014 s'est déroulée une mise en scène médiatique d'autant plus spectaculaire que les deux parties concernées ne s'adressaient plus la parole depuis un demi-siècle : ce jour-là, à midi précis, les présidents américain et cubain se sont exprimés à la télévision, de façon simultanée mais depuis leurs pays respectifs - l'un assis à son bureau, place de la Révolution à La Havane ; l'autre à la Maison-Blanche à Washington.
Neuf minutes pour Raúl Castro, douze pour Barack Obama : c'est le temps qu'il a fallu à chacun pour annoncer la reprise du dialogue entre les deux pays en vue du rétablissement de relations diplomatiques pour la première fois depuis 1961. Une annonce qui a pris tout le monde de court : absolument rien n'avait filtré des négociations, menées en secret depuis dix-huit mois sous les auspices du Canada et du Vatican.
« Pour l'Amérique latine, c'est l'équivalent de la chute du mur de Berlin », a aussitôt déclaré José Mujica, le président uruguayen sortant. « C'est une nouvelle étape dans les relations du continent ; je crois que c'est un moment qui marque un changement dans la civilisation », a renchéri la présidente brésilienne Dilma Rousseff. Même le président vénézuélien Nicolás Maduro, qui la veille encore s'en prenait violemment aux États-Unis, a salué l'événement : « Le geste d'Obama est courageux et historiquement nécessaire. Il constitue une étape sans précédent, et l'initiative peut-être la plus importante de sa présidence. »
Un enthousiasme exubérant pour ce qui n'est encore qu'un premier pas fragile : l'annonce conjointe ne concerne, pour l'instant, que le rétablissement des relations diplomatiques. Les dix-huit mois de négociations secrètes n'ont servi qu'à créer la possibilité, jusque-là inédite, de s'asseoir à la même table. Aucun calendrier n'a été avancé, aucune mesure précise n'a été détaillée au-delà de la réouverture des ambassades (1).
Bien que personne - pas même les alliés vénézuéliens - n'ait été mis dans la confidence, il est possible de décrypter a posteriori plusieurs indices dans les mois qui ont précédé ce dégel : par exemple, la poignée de main échangée en décembre 2013 entre Raúl Castro et Barack Obama lors de la cérémonie en hommage à Nelson Mandela à Soweto. Apparemment fortuit, le geste avait été qualifié d'historique par les observateurs. À l'époque, la Maison-Blanche avait cependant répondu que cet échange « n'était pas programmé » - en réalité, il marquait le premier aboutissement de négociations commencées six mois plus tôt entre les deux pays. Plus récemment, à l'automne 2014, le New York Times a publié une série de six éditoriaux successifs entièrement dédiés à Cuba, dénonçant l'inefficacité de la politique de sanctions vis-à-vis de l'île : une insistance qui avait étonné les cubanologues, et que Fidel Castro avait saluée en citant in extenso l'un des articles à la une du journal du Parti communiste cubain Granma !
Mais si personne n'avait pu prévoir le coup de tonnerre du 17 décembre, c'est que toute possibilité de négociation achoppait depuis des années sur le …
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