L'Espagne sort de la crise économique pour entrer dans une zone de turbulences politiques. L'année 2015 est, en effet, jalonnée de rendez-vous électoraux, avec un certain nombre de scrutins régionaux et des élections générales qui doivent impérativement être organisées avant le 20 décembre. Et rien ne sera facile, ni pour le Parti populaire (PP) au pouvoir ni pour le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), actuellement dans l'opposition. L'un et l'autre sont affaiblis, le PP pour avoir demandé des efforts difficiles aux Espagnols, le PSOE pour n'avoir pas su leur présenter une option alternative crédible afin de sortir de la crise ou d'en atténuer les effets. Par surcroît, ces deux grands partis de gouvernement doivent résister à la poussée de deux formations nouvelles qui, chacune à sa mesure, promettent de troubler le bipartisme qui structure la vie politique espagnole depuis le retour à la démocratie, en 1978.
La première de ces formations est Podemos (« Nous pouvons »), un parti créé en janvier 2014 qui se présente comme l'héritier du mouvement des Indignés, lequel surgit en 2011 sur la place publique, mais n'eut guère d'impact sur la scène politique. Podemos se veut anti-système, anti-libéral, et se déclare radicalement opposé aux politiques de rigueur menées par le gouvernement de Mariano Rajoy. Ce nouveau venu, dont la figure de proue est un universitaire de 37 ans, Pablo Iglesias, est également un adversaire du PSOE. En février dernier, un sondage Metroscopia publié par le quotidien El País a révélé l'extraordinaire percée de Podemos, placé en tête des intentions de vote aux élections législatives générales, avec 27,7 %. Venaient ensuite le PP (20,09 %) et, loin derrière, le PSOE, en troisième position avec seulement 18,03 %.
Le deuxième trouble-fête du bipartisme espagnol est un parti plus à droite et libéral, qui se déclare « constitutionnaliste, post-nationaliste et progressiste » : Ciudadanos (C's), fondé en Catalogne en 2006 et dont le président est Albert Rivera. Depuis, C's s'est déployé, avec succès, sur l'ensemble de l'Espagne. Il a désormais des élus au sein des parlements catalan, andalou et européen, et détient plusieurs mairies. Dans le sondage de Metroscopia cité plus haut, Ciudadanos (qui signifie « Citoyens ») se situe en quatrième position, avec 12,8 % des intentions de vote.
De même que Podemos constitue un défi pour la gauche traditionnelle et sociale-démocrate du PSOE, Ciudadanos menace l'hégémonie du PP sur la droite espagnole. Il est donc probable que la classe politique devra s'habituer à bientôt construire des alliances et des compromis - ce qui n'est ni dans ses traditions ni dans ses habitudes.
Parmi les élections régionales programmées pour 2015, deux revêtent une importance particulière. Celle d'Andalousie, qui a eu lieu le 22 mars, a donné une courte victoire au PSOE : 47 sièges sur 105. Le PP, avec 33 sièges, s'effondre, perdant 17 élus (son plus mauvais score depuis vingt-cinq ans). Podemos et Ciudadanos, quant à eux, font pour la première fois leur entrée sur la scène andalouse avec 15 élus pour le premier et 9 pour le second, un résultat tout à fait honorable. Enfin, dans cette terre traditionnellement à gauche, Izquierda Unida (IU), avatar de l'ancien Parti communiste espagnol, arrive bon dernier avec seulement 5 élus. Ce scrutin montre non seulement que Podemos et Ciudadanos deviennent des forces politiques avec lesquelles il faut compter, mais aussi - répétons-le - que le Parti populaire est fragilisé par les sacrifices exigés pour sortir de la crise. Enfin, ce scrutin est aussi une mauvaise nouvelle non pas pour le PSOE lui-même, qui conserve un bastion du socialisme, mais pour son secrétaire général, Pedro Sanchez, qui a maintenant une concurrente directe - Susana Díaz, présidente de la junte andalouse - pour conduire le parti aux élections générales.
La deuxième élection régionale, celle de Catalogne, prévue pour le 27 septembre prochain, est potentiellement explosive. Pour une raison simple : le président de la région, Artur Mas, entend transformer ce scrutin en consultation référendaire. Si la majorité des électeurs se prononçaient en faveur des partis indépendantistes, estime Mas, la question de la sécession de la Catalogne serait alors posée. Mariano Rajoy, lui, affirme que la seule fonction d'une élection régionale est de désigner une majorité régionale. Personne ne peut dire comment se terminera cette partie de poker menteur.
Paradoxalement, les incertitudes politiques s'accroissent au moment où l'embellie économique se profile enfin. Le gouvernement de Mariano Rajoy présente à la fin de son mandat un bilan économique positif, avec un retour de la croissance qui devrait dépasser 2 % cette année, voire 2,8 % comme le prévoit la Banque d'Espagne. Le chômage baisse, lentement, mais avec constance ; les investissements augmentent, y compris dans l'immobilier ; le commerce extérieur se redresse. Les touristes reviennent et la consommation des ménages reprend de la vigueur. Ce beau succès a des revers, bien sûr, notamment une réforme du travail qui a conduit à des baisses de salaire et à la création d'emplois souvent plus précaires qu'auparavant.
Bref, les Espagnols ont le sentiment que la reprise est peut-être là, mais que leur vie ne change pas. Quant à la classe politique, elle a mauvaise réputation depuis fort longtemps. La corruption, l'esprit de clan, des décisions hasardeuses en matière d'urbanisation et de gestion de l'eau, les clivages régionaux, les affrontements idéologiques, les connivences et les détestations : tous ces travers alimentent un rejet de la politique traditionnelle chez de nombreux électeurs et explique leur sympathie spontanée pour qui prétend vouloir renverser la table.
Mais les Espagnols n'en restent pas moins pragmatiques. Certes, ils peuvent voter de façon émotive, comme ils l'ont prouvé lors des élections de 2004, après l'attentat de la gare d'Atocha ; mais il est peu probable qu'ils choisissent une option radicale qui viendrait interrompre la reprise économique et menacer leurs propres intérêts. Notons, enfin, que la perspective de coalitions inédites, avec une alliance PSOE-Podemos ou PP-Ciudadanos n'est pas à exclure, quoi qu'en disent aujourd'hui les principaux intéressés. Cette recomposition serait sans doute bienvenue, les nouveaux partis injectant dans les vieux partis leur dynamisme, leur volonté de modernité et leur probité ; les anciens incitant, en retour, leurs juvéniles partenaires à un peu plus de sagesse et de modération.
M. F.
Michel Faure - Monsieur le Président, l'Espagne est en train de sortir de la crise. Le chômage, certes élevé, a tendance à diminuer et la croissance revient, doucement mais sûrement. Pourtant, les sondages semblent indiquer que vous n'êtes toujours pas le favori des électeurs espagnols. Savez-vous pourquoi ?
Mariano Rajoy - À l'instar de millions de citoyens européens, les Espagnols ont subi de plein fouet les conséquences de la crise la plus longue et la plus profonde de ces dernières décennies. Partout en Europe, cette crise a entraîné une montée des mouvements populistes, xénophobes et anti-européens pour la plupart, avec, parallèlement, un recul considérable des grands partis populaires ou sociaux-démocrates, comme l'ont montré les dernières élections européennes. L'Espagne est également touchée par ce phénomène ; mais mon parti, le Parti populaire, n'en est pas moins arrivé en tête dans les urnes. Je suis convaincu que cela sera de nouveau le cas lors des prochains rendez-vous électoraux.
Nous devons dénoncer le populisme - quelle que soit la couleur politique qu'il arbore. Je sais bien qu'il peut être l'expression d'un mécontentement légitime des citoyens, mais je sais aussi qu'il n'est pas capable de proposer des solutions à des problèmes aussi complexes que ceux que nous affrontons en ce moment.
M. F. - Que répondez-vous à ceux, nombreux non seulement en Espagne mais aussi ailleurs en Europe, qui jugent que l'austérité ne marche pas et qu'elle fait trop de dégâts chez les gens les plus modestes ?
M. R. - Ce qui ne marche pas, c'est le fait de dépenser ce que nous n'avons pas. La plus grande menace pour notre système social et notre croissance réside dans le déficit non contrôlé. Personnellement, je me suis retrouvé face à un déficit public supérieur à 9 %. Je vous garantis que j'ai dû faire d'énormes efforts - et demander aux Espagnols d'énormes sacrifices - pour corriger cette situation sans mettre en péril, pour autant, les services de base comme la santé ou l'éducation universelles et gratuites, les retraites ou les prestations pour l'emploi. Eh bien, nous avons gagné ce pari malgré la récession : aujourd'hui la croissance reprend, ce qui facilitera la réduction du déficit.
La leçon de cette expérience, c'est qu'il ne faut jamais renoncer à maintenir l'équilibre budgétaire, et qu'il ne faut jamais non plus renoncer à promouvoir des réformes pour améliorer la compétitivité de l'économie. Telles sont les clés d'une croissance économique saine et durable. C'est de cette façon que l'on grandit, que l'on crée de l'emploi, que l'on accroît le bien-être des citoyens et que l'on finance le système social. Un système social qui reste, dans une large mesure, une spécificité européenne.
M. F. - D'une façon générale, comment réagissez-vous aux critiques qui vous sont adressées ?
M. R. - Je me considère comme une personne ouverte au dialogue et au compromis. Les critiques à mon égard ne sont pas toutes justifiées, mais je peux vous assurer que j'écoute avec attention celles qui me paraissent raisonnables.
M. F. - Parmi …
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