Les Grands de ce monde s'expriment dans

Colombie : l'adieu aux armes

Entretien avec Juan Manuel Santos, Président de la Colombie par Marie Delcas, correspondante du Monde au Venezuela

n° 147 - Hiver 2015

Juan Manuel Santos

Marie Delcas - Monsieur le Président, vous avez été réélu en juin 2014 pour un nouveau mandat de quatre ans. À ce stade, quels sont vos motifs de satisfaction ? Et de déception ?
Juan Manuel Santos - Mon principal motif de satisfaction, ce sont nos acquis sociaux. Je vous rappelle que la Colombie se place au premier rang des pays de la région en termes de lutte contre l'extrême pauvreté et de création d'emplois. Quant aux déceptions, je n'en citerai qu'une : la lenteur des négociations de La Havane. Tous les Colombiens aspirent à la paix ; mais les FARC doivent comprendre que la patience du peuple colombien n'est pas infinie.
M. D. - Pourquoi avoir fait de la paix avec la guérilla des FARC une priorité ?
J. M. S. - Parce qu'il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix. Depuis dix ans, notre stratégie militaire a donné d'excellents résultats. Mais toutes les guerres doivent se terminer un jour ou l'autre autour d'une table de négociation. Et ce sont, précisément, nos succès militaires qui ont rendu possible le processus qui se déroule actuellement à La Havane.
M. D. - C'est, en trente ans, la cinquième tentative de négociation avec les FARC. Pourquoi croyez-vous que vous allez réussir là où les autres gouvernements ont échoué ?
J. M. S. - Tout simplement parce que nous avons retenu les leçons du passé. En effet, il n'est pas question pour nous de reproduire les erreurs commises lors des précédents rounds de négociations. Mieux encore : nous avons pris la précaution de nous entourer d'experts qui ont exercé leurs talents un peu partout dans le monde. Résultat : nous avons décidé qu'il n'y aurait pas de cessez-le feu pendant la négociation et pas de zone démilitarisée (1). Et notre règle, désormais, est que rien ne saurait être considéré comme négocié définitivement tant que tout n'est pas négocié. J'ajoute que le dernier mot reviendra au peuple colombien à travers un mécanisme de ratification.
M. D. - Que représentaient les FARC militairement au moment des premiers pourparlers, il y a trois ans ? Quel est leur poids aujourd'hui ?
J. M. S. - Au cours des dernières années, les FARC ont subi de très lourdes pertes, y compris au plus haut niveau : leur numéro 1 et leur numéro 2 ont été tués ainsi qu'une cinquantaine de commandants supérieurs. Leur capacité militaire a été très fortement réduite, mais je ne peux pas dire que les guérilléros ont été vaincus. Ils ont encore suffisamment de ressources pour commettre des attentats ou faire peser une menace sur le pays. C'est pourquoi nos forces armées n'ont pas baissé la garde.
M. D. - Dans les années 1990, plusieurs guérillas dont l'organisation M19 ont déposé les armes. Les paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie se sont démobilisés entre 2003 et 2006 dans le cadre des négociations engagées par le président Alvaro Uribe. Quelles leçons la Colombie a-t-elle tirées de ces expériences ?
J. M. S. - Elles sont nombreuses, mais l'une des plus importantes est sans doute que les victimes doivent être la pierre angulaire de toute négociation. Si ce n'est pas le cas, il est impossible de parvenir à la réconciliation dans une société.
M. D. - La loi sur les victimes et la restitution des terres (2) que vous avez fait voter durant votre premier mandat avait soulevé des espoirs immenses. Or son application se révèle difficile...
J. M. S. - Il est vrai que ce processus se heurte à de grandes difficultés, mais nous allons de l'avant avec persévérance et patience. La loi, qui est entrée en vigueur il y a deux ans, s'est fixé un délai de dix ans pour remplir sa mission vis-à-vis des victimes. Jusqu'à présent, nous avons indemnisé 500 000 personnes sur un total de 6 millions de victimes répertoriées, parmi lesquelles de nombreuses personnes déplacées.
M. D. - Vous avez été ministre de la Défense d'Alvaro Uribe. Convaincu que vous l'avez trahi, votre ex-chef et mentor est devenu le plus féroce de vos opposants. Il est aujourd'hui sénateur et son parti, le Centre démocratique, pourrait obtenir de bons résultats aux municipales fin 2015. Craignez-vous que les « uribistes » ne torpillent la paix ?
J. M. S. - Non, je n'ai aucune inquiétude. À mesure que les négociations progressaient et que les premiers résultats concrets étaient connus, il est apparu clairement que les Colombiens, dans leur grande majorité, soutenaient le processus. Cela dit, il est tout à fait normal que les membres de l'opposition expriment leurs préoccupations et nous sommes prêts à les entendre.
M. D. - Croyez-vous que l'opinion publique colombienne accepterait un accord de paix qui ne prévoirait pas des peines de prison pour les chefs guérilleros ?
J. M. S. - Je vous l'ai dit : dès qu'un accord sera conclu, il sera soumis à un mécanisme de ratification. L'un des principaux points portera précisément sur la justice transitionnelle. Je suis convaincu que le peuple colombien en comprendra l'enjeu : une série de peines seront prévues, qui iront de pair avec toutes les dispositions relatives au retour de la paix civile. Cet ensemble de mesures, ce « paquet » si vous préférez, représente notre meilleure chance de mettre fin à la guerre pour toujours.
M. D. - Selon vous, les forces armées savent que « la paix est la meilleure des victoires ». Ne craignez-vous pas, néanmoins, que les militaires, ou une partie d'entre eux, ne cherchent à entraver les accords de paix ?
J. M. S. - Bien sûr que non. Certains opposants au processus ont essayé de semer le doute chez les militaires en colportant des mensonges. En réalité, les forces armées, représentées par des officiers de haut rang à la réputation sans tache, siègent à la table des négociations. Leur présence garantit la viabilité et la crédibilité du processus de paix. Après tout, les militaires et les policiers sont ceux qui ont le plus intérêt à voir les …