Les Grands de ce monde s'expriment dans

Espagne : le bout du tunnel

Entretien avec Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol depuis 2011, par Michel Faure, journaliste et écrivain

n° 147 - Hiver 2015

Mariano Rajoy


Michel Faure - Monsieur le Président, l'Espagne est en train de sortir de la crise. Le chômage, certes élevé, a tendance à diminuer et la croissance revient, doucement mais sûrement. Pourtant, les sondages semblent indiquer que vous n'êtes toujours pas le favori des électeurs espagnols. Savez-vous pourquoi ?
Mariano Rajoy - À l'instar de millions de citoyens européens, les Espagnols ont subi de plein fouet les conséquences de la crise la plus longue et la plus profonde de ces dernières décennies. Partout en Europe, cette crise a entraîné une montée des mouvements populistes, xénophobes et anti-européens pour la plupart, avec, parallèlement, un recul considérable des grands partis populaires ou sociaux-démocrates, comme l'ont montré les dernières élections européennes. L'Espagne est également touchée par ce phénomène ; mais mon parti, le Parti populaire, n'en est pas moins arrivé en tête dans les urnes. Je suis convaincu que cela sera de nouveau le cas lors des prochains rendez-vous électoraux.
Nous devons dénoncer le populisme - quelle que soit la couleur politique qu'il arbore. Je sais bien qu'il peut être l'expression d'un mécontentement légitime des citoyens, mais je sais aussi qu'il n'est pas capable de proposer des solutions à des problèmes aussi complexes que ceux que nous affrontons en ce moment.
M. F. - Que répondez-vous à ceux, nombreux non seulement en Espagne mais aussi ailleurs en Europe, qui jugent que l'austérité ne marche pas et qu'elle fait trop de dégâts chez les gens les plus modestes ?
M. R. - Ce qui ne marche pas, c'est le fait de dépenser ce que nous n'avons pas. La plus grande menace pour notre système social et notre croissance réside dans le déficit non contrôlé. Personnellement, je me suis retrouvé face à un déficit public supérieur à 9 %. Je vous garantis que j'ai dû faire d'énormes efforts - et demander aux Espagnols d'énormes sacrifices - pour corriger cette situation sans mettre en péril, pour autant, les services de base comme la santé ou l'éducation universelles et gratuites, les retraites ou les prestations pour l'emploi. Eh bien, nous avons gagné ce pari malgré la récession : aujourd'hui la croissance reprend, ce qui facilitera la réduction du déficit.
La leçon de cette expérience, c'est qu'il ne faut jamais renoncer à maintenir l'équilibre budgétaire, et qu'il ne faut jamais non plus renoncer à promouvoir des réformes pour améliorer la compétitivité de l'économie. Telles sont les clés d'une croissance économique saine et durable. C'est de cette façon que l'on grandit, que l'on crée de l'emploi, que l'on accroît le bien-être des citoyens et que l'on finance le système social. Un système social qui reste, dans une large mesure, une spécificité européenne.
M. F. - D'une façon générale, comment réagissez-vous aux critiques qui vous sont adressées ?
M. R. - Je me considère comme une personne ouverte au dialogue et au compromis. Les critiques à mon égard ne sont pas toutes justifiées, mais je peux vous assurer que j'écoute avec attention celles qui me paraissent raisonnables.
M. F. - Parmi toutes celles que vous avez adoptées, quelles sont les mesures qui, selon vous, ont le plus contribué à rétablir la crédibilité économique et sociale de l'Espagne ?
M. R. - D'abord le redressement des finances publiques : nous sommes passés d'un déficit équivalent à 9 % du PIB en 2011 à 5,5 % en 2014. Et nous avons réalisé cette performance en pleine récession, ce qui nous a compliqué la tâche. Nous avons ensuite amorcé un processus compliqué d'assainissement et de restructuration de la partie de notre système financier affectée par la crise immobilière. Je tiens à signaler que nous avons mené ce processus à bien grâce à l'aide financière de l'Europe que nous sommes déjà en train de rembourser. En même temps, nous avons lancé une multitude de réformes afin de renforcer la compétitivité de l'économie espagnole. Je citerai, en particulier, la réforme du marché du travail qui a assoupli le fonctionnement des entreprises et a permis de mieux répondre à leurs besoins.
Ces résultats ont été possibles grâce à des politiques pertinentes, mais surtout grâce à la responsabilité et au bon sens des Espagnols. Dès que j'en ai l'occasion, je les remercie parce que toutes les composantes de la société - les syndicats, les entrepreneurs, les différentes administrations, les fonctionnaires, etc. - ont eu un comportement admirable et ont fait preuve d'une grande maturité ; grâce aux efforts de tous, nous avons pu inverser la situation en deux ans à peine.
M. F. - Regrettez-vous certaines des mesures que vous avez prises ?
M. R. - Si j'avais pu l'éviter, je n'aurais jamais augmenté les impôts, mais à ce moment-là le pays était menacé de faillite. Aujourd'hui, la situation a changé et nous pouvons diminuer la pression fiscale. La décrue a commencé cette année et s'accentuera l'an prochain. Je suis convaincu que la reprise de l'activité économique, qui est de plus en plus affirmée, nous permettra de poursuivre sur cette voie.
M. F. - Que répondez-vous à Pedro Sanchez, le secrétaire général du PSOE, lorsqu'il affirme que la reprise actuelle n'est pas due aux politiques que vous avez adoptées mais à des « facteurs exogènes » comme la baisse du prix du pétrole ou celle de l'euro ?
M. R. - Je n'ai pas l'intention de polémiquer avec le leader de l'opposition. Je préfère m'en remettre à la lecture de la presse internationale sur les progrès qu'a accomplis l'Espagne depuis trois ans et sur les résultats obtenus. Le pétrole baisse pour tous et l'euro également ; mais certains pays, comme le nôtre, croissent et commencent à créer de l'emploi alors que d'autres stagnent. Bien sûr que la politique économique compte ! C'est même elle qui fait la différence. Car une bonne politique économique permet de démultiplier les effets bénéfiques des facteurs externes.
M. F. - Si la croissance revient, et si vous êtes réélu, comment tenterez-vous d'en répartir les fruits ? Comment assurer le retour à l'équité sociale et faire reculer la pauvreté ?
M. R. - La …