Entretien avec Milos Zeman, Président de la République tchèque depuis 2013. par Alexis Rosenzweig, journaliste, correspondant de France 24 et de RFI à Prague.
Alexis Rosenzweig - Monsieur le Président, avant la chute du communisme vous étiez un analyste spécialisé dans la prospective économique. Les prévisions que vous faisiez pour votre pays il y a un quart de siècle, au lendemain de la révolution de velours, se sont-elles vérifiées ?
Milos Zeman - À vrai dire, j'espérais que notre économie se développerait plus rapidement ! Hélas, dans les années 1990, il y a eu en République tchèque un véritable bradage des biens publics à travers la « privatisation par coupons » (1). J'ai beaucoup critiqué ce processus qui a permis l'enrichissement d'un petit nombre d'oligarques au détriment de la collectivité. Certains hommes d'affaires véreux comme Viktor Kozeny (2) se sont emparés d'une bonne partie du patrimoine de l'État. Résultat : l'économie tchèque n'a pas pu croître autant qu'elle l'aurait dû et n'a pas réussi à rattraper celle des pays d'Europe occidentale aussi vite qu'elle aurait pu. Mais, désormais, le rythme est bon. La croissance est de près de 4 %, selon les dernières estimations. J'espère seulement que la droite ne reviendra pas au pouvoir de sitôt (3)... En effet, elle est déterminée à conduire une politique d'austérité et s'empresserait de mettre en application le slogan communiste : « Camarades, nous devons économiser coûte que coûte ! » Ce qui serait totalement contre-productif, selon moi. À mon sens, l'urgence est à présent d'adopter l'euro au plus vite. De cette façon, notre économie deviendra plus crédible sur la scène internationale (4).
A. R. - Un récent article du magazine américain Foreign Policy indiquait que la République tchèque avait un « problème d'oligarchie ». Qu'en pensez-vous ?
M. Z. - Attention à ne pas qualifier chaque homme d'affaires ayant fait fortune d'oligarque ! D'ailleurs, les politiciens américains, français ou allemands sont-ils tous sans le sou ?
A. R. - Cet article était consacré en grande partie à Andrej Babis, businessman milliardaire, depuis peu propriétaire d'un empire médiatique, et qui se trouve être l'actuel ministre des Finances...
M. Z. - Silvio Berlusconi aussi possédait un grand nombre de médias, et il a gouverné pendant une vingtaine d'années... En ce qui concerne Andrej Babis, il a renoncé à la direction de son groupe Agrofert (5), ce qui a mis fin à son conflit d'intérêts. Le fait qu'il ait acquis en 2013 deux des principaux quotidiens du pays me fait plus pitié qu'envie : ils perdent de l'argent et leurs journalistes, tels que je les connais, ne sont que des sources de problèmes !
A. R. - Le 9 mai 2015, vous étiez à Moscou pour les célébrations du soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quel bilan faites-vous de ce déplacement qui vous a valu certaines critiques, à Prague comme à l'étranger ?
M. Z. - En tant que président d'un pays qui a été en grande partie libéré par l'Armée soviétique, j'ai considéré qu'il était de bon ton de rendre hommage non seulement à ceux qui sont tombés sur le territoire tchécoslovaque mais aussi, plus largement, aux vingt millions de citoyens soviétiques - soldats et civils - victimes de ce conflit.
Par ailleurs, je suis satisfait d'avoir pu, à cette occasion, m'entretenir de la crise ukrainienne avec Vladimir Poutine, qui m'a assuré que la Russie n'envisageait pas d'envahir l'est de l'Ukraine.
Enfin, mes collaborateurs et moi-même avons également évoqué, au cours de cette visite, le dossier des récentes dettes russes envers plusieurs sociétés tchèques (6) : en tant que chef de l'État, je me dois de protéger les intérêts des entreprises de mon pays.
A. R. - Pourquoi, selon vous, avez-vous été le seul président d'un État de l'Union européenne - avec le président chypriote - à prendre part à ces célébrations ?
M. Z. - Il est vrai que les autres pays ont envoyé des responsables d'un rang inférieur. La France était par exemple représentée par son chef de la diplomatie, Laurent Fabius - qui, comme moi, n'a pas assisté au défilé militaire. J'y ai également salué Nicholas Soames, député conservateur britannique, qui est le petit-fils de Winston Churchill, envoyé par le Royaume-Uni. Mais ces pays n'ont pas été libérés par l'armée soviétique ; j'imagine donc qu'ils se sentaient moins concernés par cet anniversaire.
A. R. - Les médias tchèques ont affirmé que c'est à cause des critiques que vous avez finalement renoncé à assister au défilé militaire...
M. Z. - C'est faux. La vérité, c'est que je n'ai jamais indiqué publiquement si j'allais y assister ou pas. J'ai attendu de recevoir le programme officiel. Et j'ai considéré que le défilé militaire, tout comme le concert et le feu d'artifice, était en marge de l'événement principal. Pour moi, le plus important était de déposer une gerbe en hommage aux soldats de l'Armée rouge tombés au front.
A. R. - Êtes-vous toujours convaincu que les sanctions contre la Russie devraient être levées ?
M. Z. - Absolument. Les sanctions doivent être levées à la fin de l'année si les accords de Minsk sont respectés. Et je remarque que les critiques qui ont été formulées à mon égard lorsque j'ai évoqué cette possibilité se sont estompées quand le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a déclaré la même chose deux jours plus tard... Mais la servilité d'une partie de la presse tchèque est telle qu'on a écrit que je m'étais courbé devant Poutine. Eh bien oui, c'est vrai : je me suis incliné devant Poutine... parce que je mesure 1,87 m. Vous noterez que John Kerry, lui, mesure 1,93 m et qu'il a dû s'incliner encore davantage devant Poutine pour se mettre à sa hauteur !
A. R. - Votre déplacement à Moscou avait été qualifié de « potentiellement embarrassant » par l'ambassadeur américain à Prague, Andrew Schapiro. En réponse, vous avez déclaré que les portes du Château de Prague (le siège de la présidence de la République) lui étaient dorénavant fermées. Lui ont-elles été rouvertes depuis ?
M. Z. - Non, et je ne vois pas pourquoi elles devraient lui être rouvertes ! La …
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