Entretien avec Pierre Moscovici, ministre de l'Économie et des Finances depuis mai 2012, par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris
Baudouin Bollaert - Vous vous dites social-démocrate, réformateur et pro-européen. Comment vous sentez-vous au sein de la Commission présidée par Jean-Claude Juncker ?
Pierre Moscovici - Je suis assurément minoritaire dans ce collège qui ne compte que huit socialistes, contre cinq libéraux, un conservateur britannique et quatorze membres issus du Parti populaire européen, c'est-à-dire de partis de droite ou de centre droit. Cela dit, je ne m'attache pas aux étiquettes politiques et me sens parfaitement à l'aise dans cette Commission composée en grande majorité d'anciens chefs de gouvernement ou d'anciens ministres aux personnalités diverses et intéressantes. Je m'y sens à l'aise, car elle a un cap...
B. B. - Lequel ?
P. M. - Le cap, c'est la croissance et l'emploi. Il correspond à une période : celle de la sortie de crise. La reprise s'esquisse dans l'Union européenne et dans la zone euro. Même si elle est encore cyclique et doit être confortée, elle est là. Notre volonté est d'appliquer les règles communautaires de façon flexible et intelligente pour, en particulier, relancer l'investissement. Je suis parfaitement en phase avec les options du président Jean-Claude Juncker : j'ai sa confiance et il a mon soutien. Nous avons depuis longtemps une relation de complicité et d'amitié, c'est lui qui a voulu que j'obtienne ce poste de commissaire chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes.
B. B. - Pourquoi ?
P. M. - Peut-être pour mettre l'Europe - et sans doute la France - dans le mouvement... En tout cas, les premières initiatives de la Commission - progressistes et volontaristes - marquent une réorientation de la construction européenne qui me convient en tous points.
B. B. - Quelles sont ces initiatives ?
P. M. - D'abord, le plan d'investissement, dit « plan Juncker » - une démarche sans précédent, que Jacques Delors avait déjà évoquée au début des années 1990 ! Ce plan, financé par un fonds stratégique, libérera 315 milliards d'euros d'investissements publics et privés pour l'économie réelle d'ici fin 2017. Il est destiné à soutenir la croissance et l'emploi. Actuellement, les investissements en Europe sont inférieurs de 15 % à ce qu'ils étaient en 2007. Si nous ne parvenons pas à combler ce fossé, les pays de l'Union deviendront des économies de seconde zone. Les États-Unis investissent, les pays émergents investissent, l'Europe doit investir !
B. B. - D'autres exemples ?
P. M. - Dans le domaine qui est le mien, l'approche des questions budgétaires a changé. Non pas parce que nous avons abandonné les règles de sérieux et de bonne gestion qui sont les nôtres, mais parce que nous y avons introduit de la flexibilité. Quand un État investit, il doit être encouragé ; quand un État fait des réformes, il peut gagner du temps. Je considère qu'on ne doit pas traiter de la même façon un pays dont les conditions cycliques sont mauvaises et un pays qui se trouve dans une situation plus prospère. Nos recommandations dites « spécifiques » à tel ou tel État membre sont moins nombreuses, moins prescriptives, moins intrusives et plus stratégiques que par le passé (1). Bref, nous voulons davantage de dialogue constructif et moins d'esprit punitif.
B. B. - Vos prédécesseurs ont-ils été maladroits ?
P. M. - L'action de la Commission dirigée par José Manuel Barroso a été largement conditionnée par la crise apparue en 2008. Nous sommes dans une autre conjoncture. Notre credo : ne rien faire qui puisse ralentir la croissance et continuer à encourager de vraies réformes structurelles. Je disais récemment que l'Europe connaissait un printemps économique : il faut maintenant viser les quatre saisons de la reprise !
B. B. - Avec la France, qui n'est pourtant pas le meilleur élève de la zone euro, le ton des recommandations s'est adouci... Y êtes-vous pour quelque chose ?
P. M. - Lorsque je suis arrivé à Bruxelles, j'ai été frappé par l'ampleur du malentendu entre la France et la Commission, par la mauvaise image de mon pays dans les couloirs du Berlaymont (2). Seule cette ampleur m'a surpris car, en tant qu'ancien ministre et ancien parlementaire européen, je connaissais les reproches qui nous sont adressés : désinvolture, arrogance, etc. En ce qui me concerne, cela fait longtemps qu'à rebrousse-poil de la classe politique française je répète que les institutions européennes ne sont ni des adversaires ni des entités étrangères. Il faut donc les traiter en partenaires. Trop peu de dirigeants français le font. Moi, je m'enorgueillis de m'y être toujours attaché...
Une fois en poste, j'avoue que les premières discussions ont été difficiles. Objectivement, la situation budgétaire française n'était pas bonne malgré les efforts fournis - elle s'améliore - et la perception d'un manque de réformes était forte. Et, oui, je crois avoir été pour quelque chose dans l'amélioration du climat : non pas en me montrant trop indulgent avec la France - ma crédibilité était en jeu et on ne m'aurait pas raté ! - mais parce que j'ai permis qu'un meilleur dialogue se noue. Je vois le président de la République tous les mois et je lui ai dit combien il me semblait important que les ministres français passent plus de temps à Bruxelles pour plaider leurs dossiers devant les commissaires et, en retour, mieux intégrer les attentes de la Commission. Et ça marche !
B. B. - Pas de débats houleux ?
P. M. - Certains de mes collègues sont plus intransigeants que d'autres. Mais l'esprit de compromis a toujours prévalu jusqu'ici entre nous. Toutes les décisions ont été prises à l'unanimité, sans vote.
B. B. - Les éternels retards français n'irritent-ils pas vos collègues ?
P. M. - Je crois aux vertus de la concertation. Le 25 février dernier, la Commission avait émis une recommandation budgétaire assez sévère pour la France après cinq heures de délibération serrée. Le 13 mai, cinq minutes lui ont suffi pour adresser une recommandation spécifique plus compréhensive sur le « programme national de réformes » du gouvernement français... Que s'est-il passé ? Manuel Valls …
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