Entretien avec Philippe Douste-Blazy, Ministre français des Affaires étrangères par Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris
Baudouin Bollaert - Les objectifs du Millénaire pour le développement approuvés par l'ONU en l'an 2000 (1) arrivent à échéance cette année. Quel bilan peut-on établir ?
Philippe Douste-Blazy- Ce bilan est basé sur deux constats très clairs : d'abord, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la communauté internationale s'est engagée en faveur d'une contribution massive à l'aide publique au développement. Et, contrairement à ce que pensent de très nombreux sceptiques, cette aide ne consiste pas à humecter le désert avec un arrosoir ! Un exemple éloquent : la mortalité infantile a diminué de moitié en 25 ans. Ce qui prouve bien que, lorsqu'on investit de l'argent au service d'une cause, ça marche ! Deuxième constat : les objectifs sont loin d'être tous atteints, ce qui signifie que nous devons faire davantage. Il faut donc trouver plus d'argent et s'assurer que cet argent sera bien dépensé.
B. B. - À combien l'aide au développement s'élève-t-elle aujourd'hui ?
P. D.-B.- À 124 milliards de dollars par an. Mais il faudrait 100 à 200 milliards de plus... Quand on voit les sommes vertigineuses que les États ont dépensées en 2008 pour sauver leurs systèmes bancaires après la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers, on se dit que l'argent existe...
B. B. - Mais comment se montrer plus généreux lorsque le chômage augmente et que les déficits se creusent dans la plupart des pays riches ?
P. D.-B.- Il est vrai que la crise économique qui touche les pays de l'OCDE, autrement dit les États les plus prospères, se traduit par une diminution de l'aide publique au développement. Mais si la plupart des pays diminuent leur aide - et, malheureusement la France fait partie de ceux-là -, d'autres parviennent à la maintenir. Je pense à la Norvège, à la Suède, mais aussi au Royaume-Uni. Tous les ministères britanniques ont été affectés par le plan d'économies de 95 milliards de livres sterling lancé il y a quatre ans par le gouvernement de David Cameron... à l'exception du ministère du Développement. Les aides qu'il distribue correspondent à 0,7 % du PIB britannique : chapeau ! Dans les autres pays, c'est plus difficile. La crise est là, avec ce qu'elle suppose de crispation identitaire, de protectionnisme et de peur de l'autre. La montée de l'extrême droite en Hongrie, en Pologne ou en France tétanise les gouvernements en place. Dans ce contexte, augmenter les impôts pour l'aide au développement, inutile d'y songer, hélas !
B. B. - Que préconisez-vous ?
P. D.-B.- Primo, il faut convaincre les dirigeants actuels de parier sur le long terme en augmentant coûte que coûte cette aide au développement. Tout simplement parce que c'est l'avenir de nos enfants qui est en jeu. Il ne s'agit pas de charité, il s'agit de solidarité bien comprise : on donne et on reçoit. La crise migratoire actuelle montre bien que la solution au problème passe par une politique de développement qui permettrait aux migrants de rester chez eux. Car, je vous le dis, personne ne quitte son pays et sa famille de gaieté de coeur ! Secundo, il faut faire en sorte que les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et les pays émergents en général mettent la main à la poche. Ils donnent très peu. Ils veulent « jouer dans la cour des grands », mais se prétendent pauvres quand cela les arrange... Enfin, il faut créer de nouvelles sources de financement, c'est-à-dire trouver des financements innovants.
B. B. - Quelle est votre définition de ces financements innovants ?
P. D.-B.- Il convient de distinguer, à cet égard, l'« innovative funding » et l' « innovative spending » : le premier vise à trouver de l'argent, le second à mieux le dépenser. L'« innovative funding » consiste à obtenir une microscopique contribution de solidarité des secteurs économiques qui bénéficient le plus de la mondialisation. J'en vois cinq : Internet (Google, Facebook, Amazon, etc.) ; le tourisme de masse (les vols par avion) ; les transactions financières (elles ne sont presque pas taxées alors que les algorithmes ont transformé le capitalisme) ; les ressources extractives (mines, pétrole, gaz) ; et la téléphonie mobile (il y a plus de portables que d'êtres humains sur cette terre)...
B. B. - Vous avez commencé par les compagnies aériennes pour financer Unitaid...
P. D.-B.- Nous n'avons pas « ciblé » les compagnies aériennes en tant que telles, mais les personnes qui prennent l'avion. Unitaid est le premier laboratoire de financement innovant à ce jour. Son but est de récolter des contributions de solidarité sur les billets d'avion - 1 euro par billet - pour combattre, essentiellement en Afrique, le sida, la tuberculose, le paludisme (objectif n°6 des huit objectifs du Millénaire) et centraliser les achats de médicaments afin d'obtenir les meilleurs prix possibles. Unitaid a été créée voilà huit ans à l'initiative de deux anciens chefs d'État - le Français Chirac et le Brésilien Lula -, et je lui consacre beaucoup de mon temps.
B. B. - Avec quels résultats ?
P. D.-B.- C'est à la fois un échec et un succès. Un échec parce qu'il n'y a que 16 pays sur 193 (2) qui ont accepté de mettre en place le système ; peut-être bientôt 17 avec le Maroc. Un succès parce qu'avec ces 16 pays nous avons récolté 2,5 milliards de dollars en huit ans ! Nous avons pu, de cette façon, financer dans le monde entier 355 millions de traitements contre le paludisme et payer les traitements de 8 enfants sur 10 atteints du sida (entre 2009 et 2011) et 7,5 atteints de tuberculose. Nous avons donc prouvé au monde qu'un tout petit financement - indolore pour le voyageur (c'est moins que le prix d'un café), indolore pour l'État et indolore pour les compagnies aériennes - peut avoir un impact considérable.
B. B. - Les États-Unis ne sont pas donateurs. Ils craignent le gaspillage. Où en êtes-vous pour ce qui concerne cet « innovative spending » que vous …
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