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Ce que je crois

Entretien avec José Maria Aznar, ancien premier ministre d'Espagne (1996-2004), par Fabien Zamora, rédacteur en chef économique international à l'AFP et Grégory Rayko, rédacteur en chef adjoint de Politique Internationale

n° 149 - Automne 2015

José Maria Aznar


Fabien Zamora et Grégory Rayko - Entrons, si vous le voulez bien, dans le vif du sujet : quelle analyse faites-vous des élections régionales qui se sont tenues le 27 septembre en Catalogne (1) ?
José Maria Aznar - D'abord, rappelons les faits : les partis qui sont arrivés en tête de ce scrutin sont ceux qui défendent l'indépendance de la Catalogne. S'agit-il, pour autant, d'une victoire indiscutable des indépendantistes ? Je ne le crois pas. En effet, ils ont voulu présenter ces élections régionales comme un référendum sur l'indépendance. Or, de ce point de vue, le résultat des urnes a été, pour eux, un échec puisqu'ils n'ont pas obtenu la majorité absolue des suffrages. Il n'en demeure pas moins que le processus lancé par les indépendantistes ne va pas s'arrêter là.
F. Z. et G. R. - L'indépendance de la Catalogne est-elle inéluctable ?
J. M. A. - Certainement pas. Ma conviction, c'est qu'il n'y aura pas d'indépendance. Au bout du compte, la région restera au sein de l'Espagne. Les récentes élections ont montré que la majorité des Catalans ne voulaient pas de l'indépendance.
Permettez-moi un bref retour en arrière. Je rappelle qu'une part de l'accord de transition qui a permis l'instauration de la démocratie en 1978 portait sur le modèle territorial, sur l'organisation de l'État. L'État reconnaissait la pluralité du pays et acceptait l'expression des nationalismes locaux ; en contrepartie, les tenants de ces nationalismes s'engageaient à être loyaux envers l'unité nationale. Or les nationalistes catalans ont rompu cet accord. L'accord de la transition n'existe plus, dans les faits. Il faut donc, pour l'avenir du pays, reconfigurer, redéfinir de nouveaux accords politiques. J'espère que, dans les dix ou douze prochaines années, nous parviendrons à réduire le nationalisme et à réaffirmer la stabilité de l'État espagnol. Ce serait formidable en termes économiques, en termes sociaux, en termes d'expansion du pays. Toutes les conditions sont réunies pour que l'Espagne vive une autre décennie prodigieuse. Mais il est indispensable, pour cela, de maintenir la stabilité politique.
Selon moi, il n'y a aucune raison de modifier la Constitution espagnole comme le réclament les indépendantistes catalans (2). Au contraire, il convient de réaffirmer notre Loi fondamentale. Ce serait une grave erreur que de changer la Constitution pour satisfaire les sécessionnistes ! Reste que, avant que ce chapitre se referme définitivement, il y aura sans doute encore de nombreux débats enflammés et, je le dis franchement, néfastes. Néfastes car ils provoquent l'instabilité de la Catalogne. La région est de plus en plus divisée. Les familles, les amis, les groupes sociaux se déchirent. Ces querelles mettront un long moment à s'apaiser. D'autant que les indépendantistes sont extrêmement déterminés. Ils attendront sans doute l'issue des élections législatives générales de décembre prochain pour décider de la stratégie qu'ils vont désormais adopter ; ce qui est sûr, c'est qu'ils ne renonceront pas.
F. Z. et G. R. - Justement, quelle issue prévoyez-vous pour ces législatives ?
J. M. A. - Je pense qu'un même phénomène se déroule actuellement au sein de la droite comme au sein de la gauche. À gauche, le nouveau parti marxiste Podemos (3) fait concurrence au Parti socialiste ; à droite, le nouveau parti centriste Ciudadanos fait concurrence au Parti populaire.
Je crois que Podemos va échouer dans son pari consistant à surpasser le PSOE : à mon avis, ce dernier restera le parti majoritaire de la gauche. Aux législatives de décembre, il bénéficiera du « vote utile » au détriment des radicaux. Il faut aussi souligner que le Parti socialiste sort renforcé de la récente élection régionale tenue en Catalogne (4). Dans le camp d'en face, la leçon du scrutin catalan est inverse : Ciudadanos a obtenu près de deux fois plus de voix que le Parti populaire (5). Cela signifie que l'ancien espace politique de centre droit, qui était jusqu'ici monopolisé par le Parti populaire, est désormais fractionné. Les résultats du scrutin catalan sont une très mauvaise nouvelle pour le PP. J'invite tous ses responsables à s'engager dans une réflexion sur ce sujet : pourquoi ceux des citoyens catalans qui ne sont pas sécessionnistes n'ont-ils pas voté pour le PP ? Pourquoi ont-ils préféré offrir leurs suffrages à d'autres partis ? Pourquoi ont-ils jugé que ces autres partis défendraient l'ordre constitutionnel mieux que le PP ?
F. Z. et G. R. - Le PP va-t-il perdre les législatives de décembre ?
J. M. A. - J'espère que non. J'ai créé ce parti et j'en suis toujours le président d'honneur : je lui souhaite, bien sûr, de remporter la victoire et de poursuivre la politique qu'il a conduite depuis son arrivée au pouvoir en 2011 ! Mais force est de constater que les électeurs espagnols n'ont cessé d'envoyer au PP des messages très clairs. Le parti a enregistré des résultats très décevants lors des dernières élections européennes, mais aussi lors des municipales, lors des provinciales, lors des régionales en Andalousie et maintenant lors des régionales en Catalogne. Voilà donc cinq scrutins consécutifs qui ont permis aux électeurs de faire comprendre au Parti populaire qu'ils ne sont pas satisfaits ! Cinq avertissements consécutifs ! Il y a là un problème. Mais le problème vient-il des électeurs ou du parti ? Les électeurs ont-ils pris leurs distances vis-à-vis du parti, ou le parti a-t-il pris ses distances vis-à-vis des électeurs ? Je le répète, il faut que les responsables du PP s'engagent dans une vraie réflexion sur cette question.
F. Z. et G. R. - Qu'est-ce qui ne va pas au PP ? Est-ce un problème de personnes ?
J. M. A. - Je n'interviens pas dans la vie du parti, je ne le veux pas. Je me limite à faire des considérations sur la réalité. Et la réalité, c'est qu'il y a une coupure entre le PP et l'électorat. Il appartient au parti de présenter un projet attractif pour la vie espagnole et de trouver les leaders qui représenteront le mieux ses idées et ses valeurs. Il ne s'agit pas seulement d'une question de …