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Israël : le rêve du président

Entretien avec Reuven Rivlin, Président de l'État d'Israël depuis 2014 par Aude Marcovitch, correspondante de Politique Internationale en Israël. et Patrick Wajsman, Directeur de Politique Internationale

n° 149 - Automne 2015

Reuven Rivlin

Aude Marcovitch et Patrick Wajsman - Monsieur le Président, pourquoi avez-vous décidé d'entrer en politique ?
Reuven Rivlin - Je suis né à une époque où le peuple juif luttait pour créer son propre État. Je suis né à Jérusalem, d'une famille installée sur place depuis sept générations. Mes ancêtres sont arrivés à Jérusalem il y a deux cent dix ans parce qu'ils croyaient qu'au lieu de prier Dieu trois fois par jour en lui demandant de les faire revenir à Jérusalem les Juifs devaient simplement retourner y vivre. Mon arrière-arrière-arrière-grand-père était chef de communauté et rabbin à Vilna. En 1809, une année très particulière où certains Juifs croyaient que le Messie était sur le point d'arriver, il a décidé de rentrer à Jérusalem. Il était hors de question que la famille Rivlin ne soit pas là pour accueillir le Messie ! Depuis, nous suivons le chemin de la reconstruction du royaume du peuple juif, de la construction de l'État démocratique du peuple juif.
A. M. et P. W. - Comment la cohabitation entre communautés juive et arabe se passait-elle à l'époque ?
R. R. - Quand j'étais enfant, nous vivions ici à Jérusalem avec les Arabes, chrétiens et musulmans. Nous habitions le quartier de Rehavia (le même où se trouve aujourd'hui la Beit Hanassi, la maison du président, ndlr.). Une histoire me revient en mémoire. En ce temps-là, toutes les familles se rendaient mutuellement visite. Nous allions chez les musulmans le vendredi, eux venaient nous voir le samedi. Mon père était un grand professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem. Il était l'auteur de la première traduction du Coran en hébreu. En 1942, au moment de la bataille d'El-Alamein, nous étions allés chez la famille Fredj, à Bethléem. La famille Nusseibeh était présente elle aussi. Tout le monde parlait de la bataille en cours et se disputait sur son issue. Les Fredj et les Nusseibeh cherchaient à rassurer mon père : « Vous, la famille Rivlin, lui disaient-ils, vous n'avez rien à craindre. Nous savons que les Allemands vont gagner la guerre, qu'ils viendront immédiatement après en Palestine. Mais nous vous protégerons. »
Alors mon père leur a répondu très calmement : « Les Allemands vont perdre la bataille d'El-Alamein contre l'armée alliée commandée par Montgomery ; et après la guerre le peuple juif pourra enfin construire son propre État. Une fois que cet État sera établi, les familles qui vivent à Jérusalem, qu'elles soient musulmanes ou chrétiennes, n'auront pas besoin d'un abri parce que l'on construira ici un État juif démocratique dans lequel chaque citoyen jouira des mêmes droits. Et cet État, ajouta-t-il, sera édifié, aussi, pour permettre à tous les Juifs du monde de retourner dans leur patrie. »
A. M. et P. W. - Quelle a été votre formation intellectuelle ?
R. R. - Dès mon plus jeune âge j'étais convaincu de la nécessité politique de créer l'État d'Israël. J'ai étudié en profondeur les idées de Zeev Jabotinsky (1) et de son parti révisionniste. À l'époque, David Ben Gourion (2) était à la tête du parti travailliste. Lorsqu'il devint premier ministre, il est venu vivre dans notre quartier, juste à côté de chez nous. Mon père et lui avaient de longues discussions, notamment sur le rôle que devaient jouer ceux qui étaient arrivés sur cette terre il y a cent ans. Pour Ben Gourion, les seuls qui avaient leur mot à dire étaient ceux qui avaient fondé le mouvement sioniste et participé à la formation de l'État d'Israël ; les autres n'étaient pas légitimes pour diriger l'État.
A. M. et P. W. - À quoi rêviez-vous lorsque vous étiez enfant ?
R. R. - Au moment de la création de l'État d'Israël, j'avais neuf ans. Lorsque la Knesset a été déplacée à Jérusalem, les gens me demandaient : « Ruvi, quel est ton rêve ? » Je leur répondais : « De quoi parlez-vous ? Le rêve de tous les Juifs est devenu réalité : nous avons notre propre État. » Et ils insistaient : « Mais tu ne voudrais pas devenir membre de la Knesset ? » Mes projets étaient d'abord de finir l'école, de faire mon service militaire, de devenir officier. Puis d'étudier le droit, parce que c'est très important de connaître le droit pour faire de la politique. Et je leur disais qu'on n'a pas besoin d'un « rêve » pour devenir membre de la Knesset. Ils me demandaient si je ne voulais pas devenir ministre... Ministre ? C'est une très bonne situation, pensais-je. Je voyais tous les ministres que nous rencontrions, ils vivaient bien, ils disposaient d'un chauffeur et d'une voiture. Mais il n'est pas nécessaire d'avoir un « rêve » pour devenir ministre. Il suffit d'entrer en politique et de travailler dur. Les gens me demandaient alors si je voulais devenir président de la Knesset. Président du Parlement ! Je me souvenais du premier président de la Knesset, Yosef Sprinzak, comme d'un homme très honorable, que tout le monde appréciait, à droite comme à gauche. Mais on n'a pas besoin d'un « rêve », même pour devenir président de la Knesset. Curieusement, on ne m'a jamais demandé si je voulais devenir président de l'État d'Israël. Pour une raison simple : Haïm Weizmann était un président tellement apprécié et tellement admiré que personne ne pouvait même imaginer qu'il pouvait être remplacé. Et voilà comment j'ai exercé toutes ces fonctions que les gens envisageaient pour moi. Sans en rêver...
A. M. et P. W. - Sans parler de rêve, vous aviez bien un souhait pour votre pays ?
R. R. - À force d'être questionné sans cesse, j'ai fini par répondre que mon voeu le plus cher était de voir 2 millions de Juifs en Israël en l'an 2000 ! Quand je suis né, en 1939, la population juive comptait 200 000 personnes. Durant la période de la Shoah, 200 000 Juifs supplémentaires sont venus s'installer ici - chiffre qui a atteint 700 000 en 1948. Et, en l'an 2000, nous étions 6 millions …